mercredi 30 septembre 2015

Journal du 30 septembre 1893

Un coin du monde.
Je vis une écurie ouverte. Il y faisait noir. Elle semblait abandonnée. La litière n'était plus en paille, mais en fumier. La vache était sortie et paissait toute seule dans les champs.
Je vis une pauvre vieille femme. Elle était assise devant sa porte.  Aveugle, elle ne roulait pas ses yeux blancs. On ne l'entendait point se plaindre, pas même respirer. Elle ne remuait pas, et pourtant elle avait un bras qui semblait encore plus immobile que le reste de son corps.
Je vis un chat qui, d'un bond, traversa la rue. Je dis que c'était un chat, mais je n'en suis pas bien sûr, tant la chose me parut sale et chiffonnée. 
Pas de fumée sortant des toits, pas de claquement de portes.
Je vis un large noyer. Le vent le faisait bouger. Parfois deux ou trois feuilles, les autres restant muettes, chuchotaient entre elles, et, un moment, elles s'agitèrent toutes.  Peut-être que ce noyer concentrait en lui seul la vie du hameau, que, seul, il sentait, que, seul, il était capable d'un sentiment de sourde terreur ou d'ennui.
S'il ne pense guère, il pense plus que les hommes.

mardi 29 septembre 2015

Journal du 29 septembre 1894

Les Goncourt ont dit ce qu'il fallait des autres; ils n'ont pas dit ce qu'il fallait d'eux-mêmes.

Actualité littéraire

Après Gatsby en 2011, la romancière Julie Wolkenstein s'est attelée à un nouvelle traduction de Francis Fitzgerald, celle de Tendre est la nuit, son quatrième roman, et le dernier qu'il ait achevé, édité en 1934. Parution prévue le 21 octobre, dans la collection de poche "GF".
(Le Figaro littéraire, jeudi 17 septembre 2015, p. 5)

lundi 28 septembre 2015

Journal du 28 septembre 1895

Par la fenêtre, je la vois toujours travaillant. Il lui arrive de parler tout haut de son ouvrage. Le matin, elle fait son ménage avec des gants. C'est une vieille fille qu a quitté la maison où elle était parce qu'on l'a démolie.  Elle est ici depuis plus de quinze ans. Elle n'a fait que ces deux maisons. Un ami vient la voir. Jamais il ne couche. Il déjeune quelquefois le dimanche. Ils sont blancs, tous les deux, à les croire poudrés, et propres, et polis, polis. Ils font de fréquents voyages et paient leur loyer avant de partir.  Il est veuf, père de famille. Il a des enfants qui ont des enfants. De peur de leur faire du tort, elle n'a jamais voulu l'épouser.  C'est un couple qui fait aimer la vie. Elle ne réclame rien à son propriétaire. Une fois, elle lui a demandé l'autorisation de faire changer son papier à ses frais. Bien avant tout le monde, elle est vieille et a l'air jeune. On la voit très bien maîtresse aimée et amoureuse.

dimanche 27 septembre 2015

Journal du 27 septembre 1904

Médecins. Tous autoritaires, même quand ils disent: "Ah! c'est ce qu'on ne peut pas savoir!"

samedi 26 septembre 2015

vendredi 25 septembre 2015

Journal du 25 septembre 1889

Je lis roman sur roman, je m'en bourre, je m'en gonfle, j'en ai jusqu'à la gorge, afin de me dégoûter de leurs banalités, de leurs redites, de leur convenu, de leurs procédés systématiques, et de pouvoir faire autre.

jeudi 24 septembre 2015

Journal du 24 septembre 1890

Nous ne connaissons pas l'Au-delà parce que cette ignorance est la condition sine qua non de notre vie à nous. De même la glace ne peut connaître le feu qu'à condition de fondre, de s’évanouir.

mercredi 23 septembre 2015

Journal du 23 septembre 1899

Lever d'un paysage dans la brume. Voici les arbres du verger, la meule de paille, la ferme, le canal qui bleuit, et, tout le long du canal, les peupliers fantômes écartent peu à peu leurs draps de brume.

mardi 22 septembre 2015

Journal du 22 septembre 1892

Le dîner du Journal. Tous ces gens avaient un traité (à propos, où le nôtre avec la Russie?) qui leur assurait à chacun, chaque jour, la première colonne de la première page. Un calculateur habile établit que, si on réunissait bout à bout les copies d'une année, elles s'étendraient du restaurant à la prise de Constantinople.
Alphonse Allais écoutait son voisin en dormant. Maurice Barrès cherchait des idées générales dans la conversation de Métènier qui lui disait merde. Bernard Lazare promenait sa figure pareille à un abcès prêt à percer. D'Esparbès monta sur une table et dit son fait à Caïn. Les ventres haletaient comme la mer sur le rivage, et, au dessert,, plusieurs se reboutonnèrent.
Notre directeur se leva. Il lut des dépêches où quelques conviés s'excusaient de ne pas venir parce qu'il allaient ailleurs. Il nous assura que le succès du Journal était entre nos mains et qu'il ne fallait pas, en nous suçant les doigts, les ouvrir, de peur de le laisser couler.

lundi 21 septembre 2015

dimanche 20 septembre 2015

samedi 19 septembre 2015

vendredi 18 septembre 2015

Jouirnal du 18 septembre 1889

Ce qui n'a pas été fait, c'est un livre moderniste sur la campagne.
la campagne se prête à toutes les divagations du rêve.  On questionne bien tranquillement le ruisseau, l'arbre, les grandes luzernes: ils ne répondent pas et ce qui dégoûte les hommes, c'est qu'ils veulent toujours répondre aux questions qu'on leur pose. Chacun nous offre une certitude, une solution: c'est désolant.

jeudi 17 septembre 2015

Journal du 17 septembre 1902

Chasse. J'ai beau tenir ma droite: Philippe s'obstine à marcher derrière moi. Je ralentis le pas. Il s'arrête presque. A la fin je lui dis:
- Est-ce que vous faites exprès, Philippe, de marcher ainsi derrière moi?
-Ça dépend, dit-il.  Des fois, oui, quand nous sommes sur la route.
- Mais pourquoi?  On dirait que je vous en ai donné l'ordre. Je n'ai pas ce travers. C'est bon pour les grands seigneurs ou les maniaques, comme ce maître parisien de Borneau qui l'obligeait à se tenir à cent mètres derrière.
- Oh! monsieur, dit Philippe, ce n'est pas pour ces raisons-là que je marche derrière vous.  C'est parce que vous tenez toujours votre droite, et que, marchant à votre gauche, j'ai remarqué que les canons de mon fusil étaient dans votre direction. Ça me gêne. alors, par prudence, je marche derrière vous.

mercredi 16 septembre 2015

Journal du 16 septembre 1901

Quand nous avons fait notre première communion, il avait déjà un petit goût de ferme. Au lavabo, chaque matin, il se lavait les cheveux à grande eau. Il s'aperçut qu'il les faisait jaunir.
Revoir un homme qu'on a connu intensément voilà vingt et un ans. Il était affectueux, appliqué et gentil. quand on lui disait:: "Je parie que je t'embrasse!" il répondait:" Je veux bien." Ça n'avait plus de goût: on ne l'embrassait pas.
Il n'avait personne à sa première communion. Je l'ai fait "sortir" avec moi.Il a dîné chez les dames Millet, et jamais elles n'avaient vu tant mangé. On se faisait passer des billets, un bout de papier plié en deux, avec l'adresse. 
Ces souvenirs délicats et puérils gênent un peu quand on n'est pas poète. le poète seul ne rougit point d'avoir eu un âge où il disait et faisait des gamineries. Mais il faut risquer ces entrevues-là: c'est âcre, et cela fixe des limites.  On ne peut revivre le passé que tout seul. A deux, l'accord manque.
Comme il a changé! Mais non! c'est moi. Lui, s"est arrêté et n'a plus bougé. Il s'agit bien, pour eux, de se souvenir! Ils ont leurs bêtes à soigner.

mardi 15 septembre 2015

Journal du 15 septmbre 1893

Il semblait dormir en écoutant les femmes, mais parfois remuait ses longues oreilles de chasseur de bêtises.

lundi 14 septembre 2015

Journal du 14 septembre 1906

On a quitté le camarade intelligent, distingué même. Dix ans après, on retrouve l'homme qui ne sait même plus se raser à temps. Prendra-t-il sa retraite à cinquante-cinq ans ou à soixante-cinq? Louera-t-il une maison ou va t-il en faire construire une?
Et on devine qu'il n'a pas le sou.
Il a le meilleur chien: Il ne le donnerait pas pour 500 francs. C'est un petit chien basset qui ne s'amuse qu'avec les souris.
Le vieux garçon égoïste, qui dit que les enfants "complètent", mais qui s'est bien gardé d'en avoir.
Plaisir amer de se rabaisser à leurs yeux, de dire: "Moi, je ne gagne pas beaucoup d'argent", de s'attendrir et de sentir que l'émotion ne les touche pas, et qu'ils ont peur de ce ton confidentiel auquel ils ne sont pas habitués.
Parce qu'il a vu jouer Cyrano et qu'il a lu la pièce ensuite (ce qui n'est pas ordinaire, dit-il, car on lit plutôt les pièces, d'abord), il se croit quitte avec tout le reste de la littérature.
A ce contrôleur principal, ami d'enfance, je suis aussi étranger qu'Ibsen. Le seul hommage qu'il puisse me rendre, c'est de me répéter que Coquelin était épatant dans Cyrano.
Quand il dit:"La morale est chose relative", on sent qu'il est sincère et que, par cette formule, il passe l'éponge sur un tas de petites fripouilleries personnelles.
Il dit de Philippe: "C'est un joyeux viveur." Pour lui, tous les vieux paysans sont des braconniers.

dimanche 13 septembre 2015

samedi 12 septembre 2015

Journal du 12 septembre 1906

"Le style, c'est l'homme." Buffon a voulu dire qu'il avait une manière bien à lui d'écrire, et que c'est à cela qu'il voudrait être distingué du voisin.

vendredi 11 septembre 2015

Journal du 11 septembre 1904

Conseil municipal. Séance orageuse. A propos du paiement des gardes forestiers, que je comprends d'ailleurs aussi mal que les autres, je dis:
- C'est la loi, c'est la loi.
Alors, Gautier, garde-rivière - nous n'avons pas gardé la rivière ensemble -, d'une voix caverneuse:
- Vous ne la comprenez pas.
- L'avez-vous lue?
- Ah! ma foi, non.
- Eh! bien, moi, je l'ai lue, et je vous dis: "C'est la loi!"
Je me monte, et ça se gâte.
A propos de l'école, Gâteau dit - et ça tombe de sa bouche comme une bouse de vache, comme si c'était son âme:
- Moi, je n'ai pas besoin d'école: je n'ai pas d'enfants.
C'est si énorme qu'on proteste.
- Monsieur Gâteau, dis-je, vous venez de prononcer une parole imprudente. Laissons là cette question. 
Gêné, il cherche à faire l'aimable, mais en voilà un qui ne me ratera pas, dans quatre ans.
Rousseau et le catéchisme.
- C'est l'affaire des parents, dit-il.
- Tout le monde n'a pas vos idées.
On parle hygiène. Page, qui a une tête comme une motte  de petits vers rouges, dit:
- Jamais le fumier n'a fait de mal à personne. Les fosses d'aisance, je ne dis pas.  Et puis, il n'y a pas de maladies. Il n'y a pas de fièvre typhoïde. Les bêtes boivent dans des mares noires comme le purin: ça ne leur fait pas de mal. Pourquoi donc que ça nous en ferait? Ce n'est pas le fumier, c'est les engrais, qui empoisonnent le monde.
Ils ne croient au médecin qu'en cas de maladie.

mercredi 9 septembre 2015

Journal du 9 septembre 1889

Boulouloum, tu auras beau t'ennuyer, plus tard, dans un salon, la maîtresse de maison ne s'en apercevra pas, ne le croira pas. Elle trouvera simplement que tu as l'air "anglais".

mardi 8 septembre 2015

Journal du 8 août 1892

Je veux, moi aussi, jouer l'automne sur mon flûteau, et tous les arbres s'agitent aux carreaux avec des gestes de serpents. On dirait qu'ils attendent que je leur ouvre la fenêtre. D'abord, les feuilles se décrochent et je vois des choses qui sont restées cachées tout l'été. Je m'achète cinquante livres de bois, et je m'offre un hiver de quarante-huit heures.

lundi 7 septembre 2015

Journal du 7 septembre 1901

Toute la campagne est mûre. L'air a un petit goût sucré. L'herbe des prés est un peu cuite.  Les fleurs s'effeuillent en papillons.
Les hirondelles s’enivrent de leur vol. Moi, je suis sûr d'être heureux, et ce nuage qui, à l'horizon, prend ce teint de tuile, ne m'effraie pas.
L'hirondelle qui tourne autour d'une cheminée, mais si rapide que toujours elle semble venir de loin.

dimanche 6 septembre 2015

Journal du 6 septembre 1899

Une vieille. Elle a filé au fuseau. Son rouet marche toujours. Elle ne se met jamais à table parce qu'elle est à peine aussi haute. Elle mange quand elle a faim, jamais  aux heures des repas, et toujours le pain rassis le plus dur. Elle boit le vin qui tourne à l'aigre.
Il n'y a pas beaucoup de vieilles femmes pour filer aussi fin qu'elle.
Elle a connu les chènevottes qu'on trempait dans le  soufre et qui servaient d'allumettes. Il y en avait toujours dans un pot, sur la cheminée.

samedi 5 septembre 2015

Journal du 5 septembre 1889

Qu'est-ce que je demande? La gloire! Un homme m'a dit que j'avais quelque chose dans le ventre. Un autre m'a dit que je faisais mieux et moins sale que Maupassant, un autre... Un autre encore... Est-ce Ça, la gloire? Non, les hommes sont trop laids. Je suis aussi laids qu'eux Je ne les aime pas.  Peu m'importe ce qu'ils pensent. Les femmes, alors? Une, ce soir, jolie, au beau corsage, m'a dit: "Je lis et je relis Crime de village." Voilà la gloire, je la tiens. Mais cette femme est une belle imbécile. elle n'a pas une idée. J'aimerais à coucher avec elle si elle était muette. Si c'était ça, la gloire, je n'aurais plus rien à faire. Et cependant, toute proportion gardée, ce n'est pas autre chose! La quantité change, la qualité reste la même. C'est aussi une question d'oreille. A cette oreille un peu de ouate suffit, à cette autre il faudrait une balle de coton.

vendredi 4 septembre 2015

Journal du 4 septembre 1901

Le père Joseph, pêcheur. Il a près de soixante ans. Il est de la Haute-Saône. Il y en a plus de trente-cinq qu'il n'a pas revu son pays, mais il n'y tient pas. Il est habitué aux gens d'ici. Il a deux fils jumeaux âgés de plus de vingt ans. On ne les voit jamais. Ils sont quelque part, peut-être en prison. Ils font leur vie. Sa fille a "dans les quinze ans", il ne sait pas au juste.
Il a deux roulottes, l'une qui est de la largeur d'un lit: celui de sa femme, qui est aussi le sien, est au fond, celui de leur fille, à l'entrée; l'autre contient un poêle. Il ne pourrait pas s'en passer, pour faire sa cuisine, d'abord, ensuite, pour se chauffer, quand deux vents qui soufflent se rencontrent entre les deux roulottes sous la bâche qui sert de toiture.
Autrefois, il prenait, par jour, douze livres de poisson qu'il vendait à Corbigny. Il n'y en a plus. Coureurs, saltimbanques, ont tout détruit avec des lignes de fond.  On ne devrait pas pêcher ainsi. C'est défendu.
Il préfère ses roulottes à une petite maison qui lui coûterait peut-être 60 francs de loyer par an.

jeudi 3 septembre 2015

Journal du 3 septembre 1905

Ils ne disent pas "écrire" mais "marquer". "Je lui ai marqué ça sur ma lettre." c'est bien plus exact.

mercredi 2 septembre 2015

mardi 1 septembre 2015

Journal du 1er septembre 1889

Mlle Blanche a été caissière dans un water-closet à l'Exposition de 78. On payait cinq sous, et dix sous pour les cabinets avec toilette. Elle fait sonner les prix avec orgueil, et à nous-mêmes il semble, devant la fabuleuse énormité du droit d'entrée, que la chose devait sentir moins mauvais que de nos jours où ces petits endroits deviennent d'un bon marché dérisoire. D'ailleurs, pourquoi les prix ont-ils baissé? On a envie ou l'on n'a pas envie, n'est-ce pas?