Vicaire, un Verlaine commun, dont les vers coulaient, hier, entre les bocks et les soucoupes, mous, mous.
BLOG AMOUREUX DE JULES RENARD
▼
jeudi 30 avril 2015
Actualité littéraire
Fous de Rimbaud.
Une manière de mieux connaître un personnage illustre dont on sait presque tout: Rencontrer et parler à ceux qui l'adorent. C'est l'idée de Jean-Michel Djian adaptée à Rimbaud, qui a interviewé ses biographes, essayistes, maniaques passionnés... Cela donne les Rimbaldolâtres. A paraître le 27 mai chez Grasset.
(Le Figaro littéraire, jeudi 23 avril 2015, p. 5)
mercredi 29 avril 2015
Journal du 29 avril 1899
Tout de même, peu à peu je renonce à un tas de choses que je ne peux pas avoir.
Les Humanités au temps de Jules Renard
Les Humanités, depuis trente ans, ont été attaquées avec violence par des abrutis anticléricaux, pour qui le latin est condamnable comme langue d’Église, et le grec sans intérêt: "Tout ça - disait Edgar Monteil - c'est fait pour les jésuites et les sophistes." A la bonne heure! En effet, les Humanités, créant une élite, créent du même coup une aristocratie, aussi haïssable que l'autre, aux yeux des pauvres diables qui prennent le concile de Trente pour une réunion de trente curés.
Heureux Goethe, assis à la table des Grecs! Moins heureux sont les jeunes français d'aujourd'hui, que le régime de mort de la démocratie éloigne des sources vives de la civilisation, en les privant de la culture et de la sagesse antiques. N'est-il pas urgent d'examiner, sous quelques-uns de ses aspects, un des plus graves effondrements sociaux, - un des plus lourds de conséquences pour l'avenir le plus prochain, - l’effondrement de l'instruction et du haut enseignement en France et la chute de l'écrivain dans la Cité ruinée par la démocratie.
(Léon Daudet, les Humanités et la culture, Éditions du Capitole, 1931.)
mardi 28 avril 2015
Journal du 28 avril 1904
A Chaumot. D'abord, pourquoi je quitte Chaumot. Trois espèces de questions: administratives, religieuses, morales.
Communication plus étroite entre le maire, ses conseillers et les électeurs. Ceux-ci, au lendemain des élections, ne doivent se désintéresser de rien de ce qui se passe à la mairie. L'école doit être le centre. De bons chemins, de l'hygiène, le tout avec économie, mais sans avarice.. Il ne s'agit pas de dire: "Notre caisse est pleine!" Il s'agit de dire: "Nous avons dépensé de l'argent, mais c'était utile."
Liberté pour tous. M. Loubet va à Rome. Il ne va pas voir le pape: il n'en empêche pas les autres. Chacun croit ce qu'il veut. Que chacun croie des choses pas trop déraisonnables: voilà mon vœu.
La République. On lui doit d'abord le suffrage universel. Jadis on accusait les républicains d'avoir les mains sales; on les accuse aujourd'hui de vouloir mettre tout à feu et à sang. Comme il crient: "Vive la paix universelle!" On les accuse d'être des vendus: il faudrait s'entendre. le républicain se fait une haute idée de la morale. Il veut l'homme libre. Mettre un frein à la richesse des uns, et remédier à la pauvreté des autres.
lundi 27 avril 2015
Journal du 27 avril 1909
Le beau jeune homme, bourgeois dans le commerce, pas assez imprudent pour se faire marin. Il chasse avec un hammerless. Il a fait un faux rocher dans son jardin, une tonnelle pour dîner, l'été.
Lui aussi, il a eu une très mauvaise mère.
- Il a des tantes partout! dit Mme Alix. Il en a! Il en a...
Leur noce, la plus belle dont ils se souviennent; on n'a pas revu ça à l'église. Ils expédient des chiens de mer.
On ne peut même pas trouver la tombe d'Alix.
Barfleur ne prend plus de poisson; toutes les pieuvres le détruisent. Ils ne gagnent pas de quoi payer leur tabac. Ils cultivaient déjà la pomme de terre; ils se sont mis au chou et au chou-fleur.D'ailleurs, Alix est mort, il n'y a plus de pêcheur comme lui.
Nouveau christ dans le cimetière.
dimanche 26 avril 2015
Journal du 26 avril 1909
Barfleur. Une femme décoiffée par la mer.
Une alouette chante sur l'immense mer.
La première chose que j'apprends, c'est que L’Écornifleur a été apporté ici par un voyageur qui l'avait lu en Chine.
Désillusion. Mme Alix, une vieille sans intérêt, me regarde avec des petits yeux de défiance. Elle tient à nous montrer la maison où nous habitions voilà vingts ans. Elle était mieux Elle sentait le sapin: aujourd'hui, elle sent le tapis. Elle s'est embourgeoisée. Album de cartes postales, portraits du pape, un dessin à la plume: "Dieu protège mon fiancé." De la jeune fille, on a voulu faire une dame: piano, violon, mandoline du mari, et des tapis et des tentures!... Tout ça dans l'obscurité. Mme Alix cherche qu'on lui dise qu'elle n'a pas vieilli.
Ils continuent le commerce de poisson comme en cachette. Ils voudraient bien dire qu'ils on fait fortune, et pas trop qu'on le croie: c'est mauvais pour ce qu'il reste de commerce.
Christ partout.Rien pour moi. J'entends seulement: "Vous avez monté en grade", quand je lui dit que je suis maire.
Elle parle de son coeur.
- Mon défaut, c'est que j'ai trop de coeur. Je donne tout ce que j'ai.
Bien étonnée d'avoir si bon coeur, tout en étant si sûr d'être avare.
Suite demain.
samedi 25 avril 2015
Journal du 25 avril 1893
- Tu fais un roman. Quel est le sujet?
Bosdeveix:
- C'est un homme qui...
- Oui, je vois ça de loin, dit d'Esparbès.
Bosdeveix:
- Ça se passe à la frontière...
Bosdeveix:
- C'est un homme qui...
- Oui, je vois ça de loin, dit d'Esparbès.
Bosdeveix:
- Ça se passe à la frontière...
- Chic, alors! Parce que, tu sais, moi, mon vieux, tout ce qui passe sur la frontière... Mais, ce qui passe en France, je m'en fous. Moi, je ne suis pas intelligent. J'aime mieux avouer à Barrès que je n'ai pas lu ses livres que de lui dire des bêtises. Des fois, je dis à ma femme: "Hein? Crois-tu que nous n'avons pas encore eu les Renard à déjeuner!"
Bosdeveix:
- A la frontière du réel et de l'idéal.
vendredi 24 avril 2015
Journal du 24 avril 1906
Paysage. Des petits veaux qui dégringolent, comme renversés d'une boite à joujoux. Des vaches et des bœufs blancs dans un pré d'un vert pur, des toits rose au soleil couchant, un horizon bleu, des arbres qui n'ont encore qu'un duvet de feuilles.
jeudi 23 avril 2015
Jules Renard vu par la radiodiffusion française, France II
La prose est à Jules Renard ce que la musique est à Mozart: une justification totale. Il a connu autant que Mozart, la terreur d'être méconnu, de disparaître avant d'avoir trouver sa place dans le concert du monde, comme lui sans défense, n'ayant d'autre richesse et d'autre habileté , que la beauté du langage. Beauté pure, beauté nue, sans vaines couleurs, sans transpirations sentimentales, perfection qui tient lieu de toute vertu.
(Radiodiffusion française, France II-Régional, 2 mai 1958, Jules Renard par Jean de Beer.)
mercredi 22 avril 2015
Journal du 22 avril 1904
Pelletan, sa photographie. On n'aimerait pas à le rencontrer au coin de l'Europe.
Jules Renard vu par Charles Mauras
M. Jules Renard... peut être défini le contraire essentiel du poète lyrique. Et je crois qu'il méprise un peu la poésie, les poètes, leur éloquence, leurs systèmes et cette symbolique qui leur est chère. Cependant, il n'est point sans poésie lui-même. J'irai plus loin, il est poète à la manière d'un satirique très sec. M. Jules Renard exerce la profession de graveur de pierres. Il a le poinçon incisif et l'esprit simplificateur. Sa gravure est par là d'une qualité haute et rare. elle représente quelque chose de net, de sûr et de concis.
(Charles Maurras, M. Jules Renard d'après Poil de Carotte: un psychologue des états de l'imbécilité, La revue encyclopédique, 1er avril 1895.)
mardi 21 avril 2015
Journal du 21 avril 1908
J'ai une morale, mais elle est assez tortueuse. J'arrive au bien par un chemin de traverse.
Seule, Marinette en a réalisé quelque chose.
Jules Renard vu par andré Gide
Je ne crois pas avoir encore eu l'occasion de dire combien j'admire Jules Renard. Je l'admire comme s'il était mort, tant je suis étonné qu'on écrive si bien aujourd’hui. Je le relis comme un classique...
(André Gide, l'Ermitage, décembre 1901.)
lundi 20 avril 2015
Journal du 20 avril 1892
Le brave homme qui invite à venir voir "son groseillier" dans son jardin de banlieue.
- Vous n'avez que celui-là?
- Oh! il mangerait les autres.
- Vous n'avez que celui-là?
- Oh! il mangerait les autres.
Intermède
Comme je descendais des fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs:
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.
J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.
Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants....
(Arthur Rimbaud, Le bateau ivre.)
dimanche 19 avril 2015
Journal du 19 avril 1897
Il avait un geste familier. Il s'accoudait du bras droit, posait sa joue sur ses doigts et, de l'ongle du petit doigt libre, se touchait une dent rentrée. Il m'a laissé ce tic. Il m'a laissé la peur des lavements et les réponses évasives. Mon frère et ma soeur ont hérité d'autres tics.
Les mots filial et paternel ne signifiaient rien entre nous. Un mélange d'estime, d'étonnement et de crainte, voilà ce qui nous reliait. J'avais le soin de dire qu'il n'était pas comme les autres, et le souci de montrer qu'il ne me faisait pas peur.
Moi, je m'arrache les poils du nez comme il faisait, mais, plus sédentaire que lui, j'exagère.
samedi 18 avril 2015
Journal du 18 avril 1902
Au jardin d'acclimatation. Le bélier, la corne rebattue sur l'oreille.
Le flamant qui essaye sa trompette.
Le gardien des oiseaux. le mieux apprivoisé, c'est encore lui. Il me suit de cage en cage. Je crois lui échapper, mais le voilà sorti, tout près de moi, souriant, pas fatigué, et il finit par me prendre dans la main une pièce de dix sous.
Je déteste - et d'un goût délicat c'est le signe -
Toute la plomberie orgueilleuse du cygne.
"Le cormoran crieur", dit Victor Hugo dans Les Pauvres gens. je l'ai entendu rire, ricaner plutôt.
Le paon mue. Il a le cou pelé comme si quelqu'un s'était frotté à sa peinture mal séchée.
Comme on serait fier d'être quelque chose dans la vie de ce lion, s'il nous faisait la grâce de son intimité, de sa sympathie!
L'hyène: Ernest La Jeunesse. Plus turbulente que cruelle.
La critique d'un sot te fait mal. Tu t'attristes.
et tu confonds la gloire avec les journalistes.
vendredi 17 avril 2015
Jules Renard vu par Henri Bataille
Il y en eut, certes de plus lyriques, il y en eut de plus puissants, il n'y en eut pas de plus méticuleux. Son œuvre est emplie de recueillement, et son regard sur les choses ne fut pas, comme on le croit généralement, un regard desséchant. Il demeura exact, précis, mais il sut aussi rester ému, et, sous les étoiles, parmi la fraternité charmante de ses compagnons les chiens et toutes les bêtes des champs, Poil de carotte passe en petit grand héros...
(Henri Bataille, Écrits sur le théâtre, 1917.)
jeudi 16 avril 2015
Journal du 16 avril 1903
Antoine veut dire son rôle avec le souffleur. c'est terrible.
On répète dans de la toile d'emballage du décor.
Ce que dit Antoine à un souffleur:
On répète dans de la toile d'emballage du décor.
Ce que dit Antoine à un souffleur:
- Je vous attends, monsieur....Pas si vite, monsieur!.... Le texte, monsieur. Y a-t-il "pourtant" ou "cependant"? ...Rien à faire avec un souffleur pareil!... Laissez-moi, monsieur!... Soutenez-moi, monsieur!...Heu! Heu! Suivez donc, monsieur!... Pas si haut! Je ne m'entends plus!
Il dit:
- Je veux savoir mon texte aujourd’hui.
- Bon! Mais vous me permettrez tout de même, Antoine, d'y faire quelques petits changements?
- Vous aussi, à moi? dit-il.
- C'est drôle!
Ibels me demande si ça ne me gêne pas qu'il reste. Nous en sommes à la scène du peintre. Il doit trouver ça de mauvais goût, Cheirel trop "Palais-Royal", Signoret, pas poète.
On recommence. C'est aussi mauvais, et je n'y vois que du terne.
Desprès, à qui Beaubourg vient de lire une pièce en quatre actes, dont le premier est formidablement beau, et les trois autres, de plus en plus mauvais, me parle de Poil de Carotte qu'elle a joué dans un salon, de Lugné, qui est un admirable Lepic, un peu trop grand seigneur, puis elle me dit:
- C'est délicieux.
- De qui parlez-vous,
- De Monsieur Vernet. J'ai entendu les deux actes. Oh! la fin du deux! C'est du même tonneau que Plaisir de rompre, quoique supérieur. J'aime moins le Pain de ménage, vrai et simple. Je ne dis pas que cela aura la destinée de Poil de Carotte, que je vous jouerai éternellement, mais vous pouvez compter sur soixante à quatre-vingts représentations.
- Vous êtes sincères?
- Oh! vous pouvez être tranquille.
Et je le suis un peu moins.
Tout de même, il faut bien laisser à Desprès une petite préférence pour Poil de Carotte!
mercredi 15 avril 2015
Journal du 15 avril 1903
Dumas fils avait beaucoup de talent pour son époque. Depuis, on a appris une autre langue. Il n'y aurait peut-être qu'à récrire tout ça, je ne dis pas: avec plus de talent, mais avec d'autres mots. Dans vingt ans, il faudra peut-être faire le même travail pour les pièces de Capus et d'Hervieu.
On a dit que le Théâtre libre est rosse. Mais combien Dumas est mufle! Il a pour la femme un mépris d'esclave affranchi.
Nous faisons nos pièces avec nous-mêmes: où est-il dans les siennes? C'est plus général, mais ça manque de vie, et ce n'en est pas plus de tous les temps, puisque déjà on en est las.
Théâtre de dompteur.
Le valet de chambre lui-même a du style, et tous en ont un peu comme les valets de chambre. On annonce: "Monsieur le comte." Nous voilà fixés: c'est monsieur le comte. Tout le monde sait, par convention, ce que c'est, mais, quel homme, ça ne nous regarde pas.
C'est du sport, et ça reste humain parce qu'après tout, par travail et entraînement, il y a de l'humanité dans tous les sports.
On dit quelquefois: "C'est émouvant", et presque toujours: "C'est curieux." Oui, c'est bien curieux! Quelles drôles de gens! allons souper.
mardi 14 avril 2015
Journal du 14 avril 1899
Il faut tout dire. Quand on a bien envie et qu'on peut - enfin - mettre son derrière sur la lunette, c'est une joie d'attendre encore un peu.
Intermède
Inaptocratie. Nom, féminin. Système de gouvernement où les moins capables de gouverner sont élus par les moins capables de produire et où les autres membres de la société les moins aptes à subvenir à eux-mêmes où à réussir, sont récompensés par des biens et des services qui ont été payés par la confiscation de la richesse et du travail d'un nombre de producteurs en diminution continuelle.
(Jean d'Ormesson)
lundi 13 avril 2015
Journal du 13 avril 1897
Écrit une dizaine de remerciements complimenteurs sur une dizaine de livres que je n'ai pas lus. Honte. Fait compliment à Guiches de Snob après en avoir parlé avec dédain à Granier. Pourquoi? Raconté pour la cinquantième fois le succès du Plaisir de rompre, en exagérant une fois de plus.
dimanche 12 avril 2015
samedi 11 avril 2015
Journal du 11 avril 1900
- Est-ce que des hommes vous suivent?
- Très souvent. Il est facile de me prendre pour une demi-mondaine.
- Que vous disent-ils?
- Rien de drôle. Sinon, je m'arrêterais.
- Mais que vous disent-ils?
- "Madame, vous êtes méchante." Madame, répondez-moi." " Madame pourrais-je vous accompagner chez vous?" Je réponds: "Oui, si vous désirez faire connaissance avec mon mari." Un ouvrier m'a dit, et c'est ce que j'ai entendu de plus drôle: "A la bonne heure! Elle a du poil sur la tête, celle-là!"
- Très souvent. Il est facile de me prendre pour une demi-mondaine.
- Que vous disent-ils?
- Rien de drôle. Sinon, je m'arrêterais.
- Mais que vous disent-ils?
- "Madame, vous êtes méchante." Madame, répondez-moi." " Madame pourrais-je vous accompagner chez vous?" Je réponds: "Oui, si vous désirez faire connaissance avec mon mari." Un ouvrier m'a dit, et c'est ce que j'ai entendu de plus drôle: "A la bonne heure! Elle a du poil sur la tête, celle-là!"
vendredi 10 avril 2015
Journal du 10 avril 1894
Elle me dit:
- Quand il rentre d'avec ses maîtresses, je le lave physiquement et moralement. Je ne vous conte pas cela pour pour vous raser, monsieur, mais parce que je le vois aller à vau-l'eau, son talent perdu aux mains de cette fille que je n'ose nommer. Moi, je suis une femme propre. J'ai dix ans de plus que lui, c'est malheureux. Je ne veux pas entraver sa vie. Je le laisse libre; mais, dernièrement, ses parents, qui me connaissent, qui savent ce que je vaux et que je travaille, car je travaille, moi, monsieur, lui ont envoyé une photographie de lui quand il était petit et lui ont dit: "Remets ça à qui de droit." Qui de droit, c'était moi.Oui, monsieur! Ses parents m'ont donné la photographie de G... enfant.
jeudi 9 avril 2015
Journal du 9 avril 1890
Lire Fanny de Feydeau, la seule chose de lui qui soit à lire.
Il y a, dans Fanny, une chose originale: c'est l'admiration de l'amant pour le mari.
Le fils de Philippe
Le petit Joseph n’ira plus à l’école, parce qu’il en sait assez long, et il a profité hier de la grande louée de Lormes pour se louer. Il gardera les moutons du fermier Corneille. Il est nourri et blanchi. On lui donne cent francs par an et les sabots.
Il couchera dans la paille, près de ses moutons, et il sera debout avec eux, dès trois heures du matin.
— Je me suis loué du premier coup, dit-il avec fierté.
Il portait un flocon de laine à sa casquette, ce qui signifiait : « Je me loue comme berger ». Ceux qui veulent se louer comme moissonneurs ont un épi de blé à la bouche. Les charretiers mettent un fouet à leur cou. Les autres domestiques se recommandent par une feuille de chêne, une plume de volaille ou une fleur.
Joseph arrivait à peine sur le champ de foire que le fermier Corneille l’attrapa :
— Combien, petit ?
Joseph ne dit pas deux prix. Il dit : « Cent francs », et le fermier le retint. Et comme Joseph oubliait de jeter par terre la laine de sa casquette, on l’arrêtait encore. Il se serait loué vingt fois pour une et chacun voulait l’avoir parce qu’il était doux de figure. Il s’amusait bien en se promenant. Au retour, il eut de la tristesse, mais son père Philippe le consola :
— Écoute donc, bête, tu seras heureux comme un prince ; tu auras un chien ; tu partageras avec lui ton pain et ton fromage, et il ne voudra suivre que toi.
— Oui, dit Joseph, et je l’appellerai Papillon !
(Jules Renard, Bucoliques, les Philippe, § 13.)
mercredi 8 avril 2015
Journal du 8 avril 1907
Femme. Elle mange discrètement au fond de sa bouche, comme le cheval la tête dans son sac.
Intermède
Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue:
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien:
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la nature, - heureux comme avec une femme.
(Arthur Rimbaud, Sensation)
mardi 7 avril 2015
Journal du 7 avril 1906
L'autorité obscure, mais impressionnante, d'un tailleur qui vous explique pourquoi un vêtement qui vous va très mal vous va très bien.
Le divorce au temps de Jules Renard
Le divorce sépare beaucoup plus que la mort. C'est un plus grand malheur que la disparition de ce monde de l'un des deux époux.
Les divorcés peuvent faire glisser de leur doigt l'anneau qui était le symbole d'un engagement que leur volonté aidée par la loi a brisé.
La femme divorcée doit se réfugier auprès de ses parents, si elle les a encore; auprès d'un frère aîné et marié, si possible; auprès d'une tante âgée.
A défaut de parenté, elle fait bien de se retirer dans un couvent, j'entends dire dans une de ces maisons religieuses où l'on prend en pension les femmes isolées.
Il lui faut bien prendre garde aux jugements du monde, qui sera sévère pour elle, fût-elle la victime.
(Usage du Monde, règles du savoir-vivre dans la société moderne, par la baronne Staffe, V. Havard fils éditeur, Paris, 1889.)
lundi 6 avril 2015
Journal du 6 avril 1910
Je veux me lever, cette nuit. Lourdeur. Une jambe pend dehors. Puis un filet coule le long de ma jambe. Il faut qu'il arrive au talon pour que je me décide. Ça séchera dans les draps, comme quand j'étais Poil de Carotte.
dimanche 5 avril 2015
Journal du 5 avril 1905
La Duse. Beauté, noblesse, intelligence. Son visage ne se "gèle" jamais. Dans la pièce de Goldoni elle a la figure spirituelle: elle ne fait pas de l'esprit avec sa figure.
Elle a de belles toilettes, mais elle pourrait faire des économies sur l’article.
Quand elle quitte la scène, elle sort: elle ne s’arrache pas.
samedi 4 avril 2015
Journal du 4 avril 1897
Chez Lemaître. Parlant de mon père, me voilà parti. Je dis tout, comme si je connaissais Lemaître depuis dix ans, et j'arrange. Je dis tout et j'arrange. Je dis qu'auparavant je n'aimais pas mon père, mais que je m'y suis mis quand j'ai connu son étonnante vie de coeur. Tout à l'heure je me donnerai des claques, et Lemaître va croire que c'est chez moi une habitude, un sport.
Le commencement du talent pour un littérateur, c'est le besoin de faire croire qu'il n'est pas compris de sa famille. Lemaître, cependant, qui doit avoir un peu peur, se gratte le front et s'ôte de petites croûtes.
Il change de conversation en me montrant un manuscrit de Saint-Pol Roux, une pièce injouable, mais qui, l'amuse. Roux lui a écrit deux lettres "magnifiques". Lemaître lit quelque belles images, dont aucune ne porterait. On n'entendrait même pas les mots.
- Quelqu'un viendra, dis-je, qui lira Roux et adaptera tout cela au goût français.
Lemaître dit d'ailleurs que tout se trouve déjà dans Hugo. Il ignore Claudel.
Il me demande si les "mots" sont de moi ou de ma fillette. Ça devient un jeu de société. Il me dit que, parfois, on dirait des mots d'une petite fille de Maeterlinck.
Puis il me reconduit à la porte en me précédant.
vendredi 3 avril 2015
Journal du 3 avril 1894
Ils s'en fichent, du théâtre! Ce qu'ils veulent, c'est frapper sur un tambour à peau bien raide.
Actualité culturelle
Journal d'une femme de chambre, de Benoît Jacquot. Avec Léa Seydoux, Vincent Lindon, Clotilde Mollet. Au cinéma, à partir du mercredi 1er avril.
On ne sait pas exactement ce qui a poussé Benoît Jacquot à refaire une adaptation du Journal d'une femme de chambre, mais il accomplit impeccablement le programme. A défaut de cette nécessité intérieure que Rilke demande aux artistes, le réalisateur apporte l'excellence de son savoir-faire.
Voilà la jeune Célestine (Léa Seydoux), femme de chambre par obligation mais rêvant de sortir du cadre, engagée chez un vieux ménage de notables de province, M. et Mme Lanlaire. Madame est d'une aigreur tatillonne et persécute volontiers le personnel. C'est son seul divertissement. Monsieur profite de sa position pour satisfaire - plus ou moins -ses fantasmes libidineux. L'entourage villageois, militaire à la retraite, commère plantureuse, factotum sombre et mutique, complète un tableau de la petite bourgeoisie au pittoresque caricatural. Astucieusement, le réalisateur aère l'histoire en ouvrant des fenêtres sur les précédentes places de Célestine, qui révèlent d'autres aspects de sa personnalité.
L'écriture est intelligente, et Léa Seydoux éclatante de jeunesse et de sensibilité perdues. Rien d'une dévergondée, mais un tempérament indépendant mal étouffé par la contrainte sociale.
Benoît Jacquot traite l'évocation d'époque avec ce raffinement qui évite les décors léchés et les comportements trop appliqués. Décors, costumes, manières ont cette juste usure des choses familières. La dérision et l’amertume y passent d'autant mieux, comme des courants d'air actuels derrière les tapisseries fanées.
(Marie-Noëlle Tranchant, le Figaro, mercredi 1er avril 2015, p. 28.)
jeudi 2 avril 2015
Journal du 2 avril 1901
La Veine. Tout ce que disent Granier et Guitry, je l'écrirais peut-être avec moins d'esprit, mais avec plus de vérité, j'en suis sûr. Mais comment me déciderai-je à adopter des fantoches? Et toutes ces combinaisons faciles comme des mensonges! Voilà pourquoi je n'écrirai jamais une pièce en trois actes. Il y a un bon quart de la pièce de Capus que je n'écrirai pas, et c'est ce quart qui le mènera à deux cents représentations.