Chemin de croix
[...] Est-ce que Jules Renard, qui est un écrivain parfait, un pur classique, qui compte à son actif trois ou quatre chefs-d’œuvre - des vrais! - et dont le nom, dans les temps à venir, s'accolera, sur des cartouches, à celui de notre La Fontaine, est-ce que Jules Renard est décoré?
Mais non, mon cher Antoine, il ne l'est pas... On annonçait partout, dans les gazettes, qu'il le serait... Oh! j'étais bien tranquille! C'est M. Jules Mary qui le fut à sa place.
Mon Dieu, oui! ... Et c'est juste!...
Et j'ose espérer qu'il ne le sera jamais. Car, le jour où il le serait, à voir ce qu'on décore, ce qu'on crucifie, ce qu'on légionnise, ce serait à se demander si son talent unique, et qui nous est si cher, n'a pas faibli, et s'il ne doit pas bientôt, à l’abri de cette croix, entrer dans le grand silence des choses mortes!
Ah! que c'est donc mélancolique d'avoir à parler de ces choses oiseuses, et pourquoi faut-il que tous les ans, à la même époque, on éprouve au coeur cette petite tristesse, à voir, parmi ceux que l'on chérit et que l'on admire, les meilleurs, quelquefois, s'arrêter, eux aussi, comme les autres, et s'agenouiller devant chaque station de ce douloureux chemin de croix!...
(Octave Mirbeau, Le Journal, 21 janvier 1900.)
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