Suite
Il racontait qu'il avait eu une jeunesse
très malheureuse, et qu'il avait beaucoup souffert. Je me suis demandé
depuis si sa souffrance ne lui venait pas de la contradiction profonde
qui existait entre ses aspirations intellectuelles et ses moyens
d'expressions, assez courts, s'il ne se piquait pas, et cruellement, à
son propre dard. il aurait voulu, disait-il quelquefois, être directeur
de conscience et chef d'école d'un grand nombre de jeunes gens. Il faut
pour cela une personnalité forte, riche, expansive. Renard était une
personnalité pauvre, griffue, sans générosité, et qui s'en rendait
compte. Il ne faisait grâce à son plus intime ami ni d'un faux pas, ni
d'un petit travers, et il supposait toujours, chez autrui, la mauvaise
pensée.
Quel sombre, sombre
pessimiste! Quand je pense qu'il y a eu des serins pour le ranger parmi
les auteurs gais! je rêve d'un pastiche de son cher La Bruyère: "On voit
des hommes, dans les campagnes, peinant sur des miniatures de bêtes et
de gens." Ce bon écrivain, cet esprit faible est demeuré à mes yeux le
prototype des êtres tordus psychologiquement, sans que l'on puisse bien
démêler le sens du pli de leur torsion. Le goût de la syntaxe, la
sobriété dans le trait ne sont pas tout. Je conclurai en me demandant,
d'après ses histoires naturelles: "Etait-il une abeille ou une guêpe?" J'ai bien peur qu'il ne fût une guêpe.A suivre.
(Léon Daudet, L'Entre-deux guerres, Bernard Grasset,1932.)
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