BLOG AMOUREUX DE JULES RENARD

jeudi 31 juillet 2014

Journal du 31 juillet 1903

Philippe, mieux que le parent, c'est le compagnon.
Ils vivent dans la buanderie et s'y trouvent bien. La porte n'est fermée qu'avec une corde. Quand il fait de l'orage, Pointu n'a qu'à y appuyer ses deux pattes de devant pour l'ouvrir et entrer.
N'importe quelle loge de concierge à Paris leur semblerait trop belle .

mercredi 30 juillet 2014

Journal du 30 juillet 1903

Quand on voit Ragotte, avec des seins énormes, près de son garçon grand, gros et gras, on lui dirait avec tendresse: "Vous êtes une bonne vache et vous avez fait un bon veau." elle a donné à ses enfants toute la vie épaisse qu'elle avait dans les seins.

mardi 29 juillet 2014

Journal du 29 juillet 1907

Un coup de tonnerre, dit Ragotte, peut tuer un petit poulet dans l’œuf.
- Oui, s'il tombe sur l’œuf.

lundi 28 juillet 2014

Journal du 28 juillet 1889

Boulouloum, quiconque lit trop ne retient rien. Choisis ton homme. Relis, relis-le pour te l'assimiler, le digérer. Comprendre, c'est égaler. Être l'égal de Taine, par exemple, c'est déjà joli.  

dimanche 27 juillet 2014

Journal du 27 juillet 1891

L'Écornifleur, c'est l'histoire d'un jeune homme  insupportable qui parle tout le temps et ne prouve rien.

samedi 26 juillet 2014

Journal du 26 juillet 1892

Il avait une petite perruche, grosse comme un serein, qui venait à table sur son épaule et lui mangeait les cheveux. C'est ainsi qu'il devint chauve.

vendredi 25 juillet 2014

Journal du 25 juillet 1892

Il est sourd de l'oreille gauche: il n'entend pas du côté du coeur.

jeudi 24 juillet 2014

Journal du 24 juillet 1897

Papon est mort hier soir à dix heures. Il aurait pourtant bien voulu travailler encore, couper son blé lui-même car son blé ne vaut pas ce que lui coûterait un autre homme pour le couper.
Quand il a dû reconnaître que, décidément, il ne pouvait plus travailler, il a dit à Marinette:
- Je crois qu'on va finir par être malheureux.
Dès qu'ils sont malades, ils préfèrent être morts. C'est de la vie si triste qu'on n'ose pas en faire de la littérature. Quand ils se voient malades, ils disent aux leurs: "Ah! bien, je vais vous en faire, de la coûtance!"
Et la pharmacie! S'imagine-t-on que les plus riches, c'est-à-dire ceux qui mangent tous les jours de la soupe au lard, peuvent payer des flacons de huit francs?
Ils empruntent mille francs pour acheter un peu de terre, et jamais, jamais ils ne peuvent faire mieux que de payer les intérêts de cet argent. C'est une dette à vie. Ils ne se défient pas assez du notaire, sans lequel ils n'osent rien conclure, et pourtant les notaires se paient d'avance.
On s'offusque de leurs vices, de leurs défauts, de leurs sournoiseries, de ce qu'ils boivent, battent leurs femmes.  On oublie que la misère leur donne droit au crime.
Ce qui étonnait le plus Papon, dans la mort de mon père, c'est que, si bien soigné, il se soit tué.
- Si j'étais soigné la moitié aussi bien que le défunt M. Renard, disait-il à Marinette, on ne verrait pas ma fin. 
Il mangeait des pleines "terrasses" de soupe, et ensuite se plaignait d'être gonflé.
Un matin, à trois heures, il se sentait bien. Il se levait, voulant aller couper son blé, et sa femme lui faisait chauffer un reste de café.

mercredi 23 juillet 2014

Journal du 23 juillet 1903

Tous voudraient quitter le pays. Ces videurs de pots leur tournent la tête. Dans dix ans, il sera aux mains sales des valets de chambre.

mardi 22 juillet 2014

Journal du 22 juillet 1887

Je ne me sens jamais assez mûr pour une œuvre forte.  Apparemment, j'attends de tomber en ruine.

lundi 21 juillet 2014

Journal du 21 juillet 1899

Victor Hugo, un génie qui ne tâtonne jamais.

A propos des "Amis de Jules Renard"

L'association "Les amis de Jules Renard" annonce-elle sa future dissolution?  C'est peut-être comme cela qu'il faut interpréter la lettre reçue récemment par un adhérent. Extrait:
" 4 juillet 2014, Cher ami, Je vous retourne votre chèque de 15€ à l'ordre de l'association...Il n'y a pas de cotisation appelée actuellement. Elle sera fixée par la prochaine assemblée en fin d'année en fonction de l'évolution de nos activités...Bien à vous. Le président, Bruno Reyre."
L'association n'aura alors pas survécu au non renouvellement du mandat du brillant président Jacques Perrin.

dimanche 20 juillet 2014

Journal du 20 juillet 1892

Le Racine sur la table de Verlaine.
"- Un matin, dit Schwob, je suis allé chez Verlaine, dans une auberge borgne. Inutile de vous la décrire. Je pousse la porte. Il y avait un lit moitié bois, moitié fer, un pot de chambre en fer plein de choses, et ça sentait mauvais. Verlaine était couché. On voyait des mèches de cheveux, de barbe, et un peu de la peau de son visage, de la cire d'un vilain jaune, gâtée.
- vous êtes malade, Maître?
- Hou! Hou!
- Vous êtes rentré tard, Maître?
- Hou! Hou!
Sa figure s'est retournée. J'ai vu toute la boule de cire dont un morceau, enduit de boue, la mâchoire inférieure, menaçait de se détacher.
Verlaine m'a tendu un bout de doigt. Il était tout habillé. Ses souliers sales sortaient des draps. Il s'est retourné contre le mur, avec ses Hou! Hou!
Sur la table de nuit il y avait un livre: c'était un Racine."

samedi 19 juillet 2014

Journal du 19 juillet 1905

Lent comme une vieille femme qui vous apporte une dépêche en montant un escalier.

vendredi 18 juillet 2014

Journal du 18 juillet 1890

Une plante exotique s'ouvrait comme un éventail de rasoirs.

jeudi 17 juillet 2014

Journal du 17 juillet 1887

Il faut bien que je descende la crémaillère de mon esprit  pour y suspendre votre pot-au-feu.

mercredi 16 juillet 2014

mardi 15 juillet 2014

Journal du 15 juillet 1902

Je ne vous suivrais pas, même pour aller au bout du monde.

lundi 14 juillet 2014

Journal du 14 juillet 1903

L'ignorance du paysan se compose de ce qu'il ne sait pas et de ce qu'il croit.

dimanche 13 juillet 2014

Journal du 13 juillet 1892

Des pommiers coiffés de blanc comme des chefs de gare.

samedi 12 juillet 2014

Journal du 12 juillet 1894

Sa tour d'ivoire, quelque arrière-boutique.

vendredi 11 juillet 2014

Journal du 11 juillet 1892

Comme d'autres cherchent à se donner un front, Barrès coupe le sien en deux au moyen d'une mèche qui va de gauche à droite.

jeudi 10 juillet 2014

Journal du 10 juillet 1894

J’écrirai un livre qui étonnera mes amis. Je ne me croirai pas supérieur aux autres, comme Goncourt. Je ne dirai pas de mal de moi pour qu'on m'excuse, comme Rousseau. Je tâcherai seulement de voir clair, de faire en moi la lumière pour les autres et pour moi. J'ai trente ans. Comment ai-je vécu jusqu'ici? Et maintenant, que ferai-je? Me laisserai-je aller? Chercherai-je à me rendre utile?  

mercredi 9 juillet 2014

Journal du 9 juillet 1894

Pour elle, des bottines fraîchement cirées, c'est des bottines neuves.

Actualité littéraire

Vient de paraître:
Oscar Wilde, par Danielle Guérin-Rose, Éditions Pardès, 128 P., juin 2014.
Oscar Wilde est mort en 1900, au même âge que Jules Renard. C'est leur seul point commun. Raison suffisante pour le découvrir à travers cette superbe biographie.
Jules Renard avait dans sa bibliothèque un exemplaire de Salomé qui fut adjugé 360 Francs lors de sa dispersion en 1921.
T.J.

mardi 8 juillet 2014

Journal du 8 juillet 1893

Sur une mer de cambouis, un ciel charbonneux, sale, indigne de la Providence.

lundi 7 juillet 2014

Journal du 7 juillet 1900

Exposition. Au théâtre de Loïe Fuller, le théâtre chinois. Un mélange de Guignol et de théâtre Antoine. comme des clowns, ils se battent sans se faire de mal, et ils ont des mines qu'envieraient nos meilleurs comédiens. Des gestes de mains qui semblent désossés.
Au théâtre de la Danse une ouvreuse raide nous offre à chacun une rose.
- Oh! moi, je n'en veux pas.
- Un soir de gala, tout le monde est obligé, dit-elle, d'avoir une rose à la boutonnière.
Intimidé, je prends la rose.

dimanche 6 juillet 2014

Journal du 6 juillet 1895

Le poète Titulopanpé avait fait, sur les papillons, une pièce de vers.Il n'en était pas content du tout. Il trouvait lourd le vol de ses papillons.  Il déchira ses vers et jeta sur le lac les morceaux de papier. Mais ils ne tombèrent pas à l'eau. Légers, ils s'envolèrent  d'un essor miroitant, pris par la brise. Et le poète Titulopanpé les suivait du regard, attendri, content d'avoir écrit des vers meilleurs qu'il ne croyait.

samedi 5 juillet 2014

Journal du 5 juillet 1895

Gérardmer, la Schlucht, le Hohneck. - Charlemagne a pris ici un repas champêtre. Tout de suite on parle de ses relations avec ses filles. 
La Roche du Diable, occasion d'exposer sa théorie sur le vertige. Le corps en arrière, on ne s'appuie à la rampe de fer que du bout des doigts. On devient cotonneux. Un mendiant, qui ressemble à Verlaine (il est très beau, ce mendiant-là) profite de notre vertige.. Par sensibilité peureuse, nous lui donnons chacun deux sous. C'est à la fois une charité et une façon de désarmer l'abîme qui bâille à nos pieds.
La Meurthe n'en finit plus de prendre sa source. Les autres rivières peuvent attendre.
Descendu jusqu'à Retournemer par le sentier des Dames. C'est une espèce d'entraînement pour l'enfer.  Un des endroits les plus riants de notre promenade. Des petites servantes ahuries nous apportent bière âcre et limonade rouge. Comme je donne quatre sous de pourboires à l'une d'elle, elle les retourne, trouve que ce n'est pas assez pour payer la bière, ou se demande pourquoi je paie deux fois.
Au Hohneck, table d'orientation. Un sentier permet d'y arriver sans marcher sur le territoire allemand. Il faut être patriote, car le sentier allemand est beaucoup plus doux.
Vivre et mourir au bord du lac de Longemer! Les lichens pendent comme des barbes d'Espagnols. Sous les hêtres, la cascade tombe en gémissant, comme une femme qui se cache la figure.

vendredi 4 juillet 2014

Journal du 4 juillet 1899

Bouvard et Pécuchet, le livre de la guigne; mais c'est trop: on ne les croit plus.

La femme, un peu avant le temps de Jules Renard

La nature douce, molle, replète, arrondie de la femme, toutes les qualités qui font qu'elle est charmante dans la jeunesse, font aussi que tout s'affaisse, tout s'aplatit, tout pend dans l'âge avancé.
(Diderot, lettre LXXVI à Sophie, cité par Henri Lhéritier Moi et Diderot (et Sophie), p. 173, Édition Trabutaire, 2013.)

jeudi 3 juillet 2014

Journal du 3 juillet 1894

Ah! la bonne femme que j'ai perdue! De son temps, je pêchais au bord de la rivière, tout le long; et, quand je voulais passer sur l'autre bord, je n'attendais pas un pont. J'entrais gaillardement dans l'eau avec mes souliers, mes chaussettes, tenant ma ligne haute.
Je ne relevais même pas mon pantalon. Je me mouillais avec joie jusqu'au ventre. 
Si, de ton temps, je t’avais cru pas plus de raison qu'un gamin, ne me gronderais-tu pas? Ne te fâcherais-tu pas?
Or, de son temps, la bonne femme que j'ai perdue ne me disais rien; et même, je la voyais qui souriait en détournant la tête. 
Et, même si mon pied venait à glisser, je m'asseyais un peu sur les cailloux.

mercredi 2 juillet 2014

Journal du 2 juillet 1897

Je l'emmène promener avec moi à la pêche, partout. 
Marinette qui devait me remonter, pleure.
Il semblait être de son jardin, comme les arbres.
Il ne marchait plus: il glissait.

mardi 1 juillet 2014

La critique théâtrale au temps de Jules Renard

Il sera pardonné beaucoup à la Comédie Française en faveur de l'admirable et réconfortante reprise des Burgraves. Les vieux regrattiers de mélos, les jeunes esthètes au cervelet putréfié en sont pour leur frais d’infamie, de stupidité; et, le gâteux Montépin à l'égal du constipé André Gide eurent beau débagouler le long des "rambuteaux" de la Presse leur sanie bilieuse, ces seigneurs sans importance n’empêchèrent point la multitude d'être secouée dans l'âme par le verbe immortel du plus formidable des poètes. Mais il faut proclamer aussi que les interprètes des Burgraves - tous les interprètes - à force de foi artistique ou de talent - sont dignes de jeter en pâture à l'enthousiasme religieux des foules, ces vers et ces sublimes pensées.
(Hugues Delorme, Cocorico, n° 59, p. 184, 15 février 1902)