Papon est mort hier soir à dix heures. Il aurait pourtant bien voulu travailler encore, couper son blé lui-même car son blé ne vaut pas ce que lui coûterait un autre homme pour le couper.
Quand il a dû reconnaître que, décidément, il ne pouvait plus travailler, il a dit à Marinette:
- Je crois qu'on va finir par être malheureux.
Dès qu'ils sont malades, ils préfèrent être morts. C'est de la vie si triste qu'on n'ose pas en faire de la littérature. Quand ils se voient malades, ils disent aux leurs: "Ah! bien, je vais vous en faire, de la coûtance!"
Et la pharmacie! S'imagine-t-on que les plus riches, c'est-à-dire ceux qui mangent tous les jours de la soupe au lard, peuvent payer des flacons de huit francs?
Ils empruntent mille francs pour acheter un peu de terre, et jamais, jamais ils ne peuvent faire mieux que de payer les intérêts de cet argent. C'est une dette à vie. Ils ne se défient pas assez du notaire, sans lequel ils n'osent rien conclure, et pourtant les notaires se paient d'avance.
On s'offusque de leurs vices, de leurs défauts, de leurs sournoiseries, de ce qu'ils boivent, battent leurs femmes. On oublie que la misère leur donne droit au crime.
Ce qui étonnait le plus Papon, dans la mort de mon père, c'est que, si bien soigné, il se soit tué.
- Si j'étais soigné la moitié aussi bien que le défunt M. Renard, disait-il à Marinette, on ne verrait pas ma fin.
Il mangeait des pleines "terrasses" de soupe, et ensuite se plaignait d'être gonflé.
Un matin, à trois heures, il se sentait bien. Il se levait, voulant aller couper son blé, et sa femme lui faisait chauffer un reste de café.