mardi 18 mars 2014

L'avenue Montaigne au temps de Jules Renard

On ne peut nier que l'avenue Montaigne ne soit située dans un des plus beaux quartiers de Paris, au centre des Champs-Élysées, et qu'elle ne soit aussi fort agréable à habiter, horizonnée d'un bout par les quais de la Seine et de l'autre par les jets d'eau bordés de fleurs du rond-Point. Mais elle a l'aspect disparate, composite, d'une voie tracée à la hâte, et encore inachevée.
À côté des grands hôtels ornant leurs angles arrondis de glaces sans tain, de rideaux de soie claire, de statuettes dorées, de jardinières rustiques, ce sont des logements d'ouvriers, des masures où retentissent les marteaux des charrons et des maréchaux-ferrants. Il y a là tout un reste de faubourg que les violons de Mabille animent, le soir, d'un bruit de riche ginguette. À cette époque, on voyait même dans l'avenue, et je pense qu'ils existent encore aujourd'hui, deux ou trois passages sordides, vieux souvenirs de l'ancienne allée des veuves et dont l'aspect misérable faisait un singulier contraste avec les splendeurs environnantes.
(Alphonse Daudet, Jack)

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