Dédèche est mort
Suite d'hier.
Ah! si Mademoiselle avait pu saisir ce chien féroce, le mordre à la gorge, le rouler et l'étouffer dans la poussière!
Dédèche guérit de la blessure des crocs, mais il lui resta aux reins une douloureuse faiblesse.
Il se mit à pisser partout. Dehors, il pissait comme une pompe, tant qu'il pouvait, joyeux de nous délivrer d'un souci, et à peine rentré il ne se retenait déjà plus. Dès qu'on tournait le dos, il tournait le sien au pied d'un meuble, et Mademoiselle jetait son alarme monotone: " Une éponge! de l'eau! du soufre!"
On se mettait en colère, on grondait Dédèche d'une voix terrible, et on le battait avec des gestes violents qui ne le touchaient pas; son regard fin nous répondait: "Je sais bien, mais que faire?"
Il restait gentil et gracieux, mais parfois il se voûtait comme s'il avait sur l'échine les dents du chien de braconnier.
Et puis son odeur finissait par inspirer des mots aux amis les moins spirituels.
Le coeur même de Mademoiselle allait durcir!
Il fallut tuer Dédèche.
C'est très simple: on fait une incision dans une bouchée de viande, on y met deux poudres, une de cyanure de potassium, l'autre d'acide tartrique, on recoud avec du fil très fin. On donne une première boulette inoffensive, pour rire, puis la vraie. L'estomac digère et les deux poudres, par réaction, forment de l'acide cyanhydrique ou prussique qui foudroie l'animal.
Je ne veux plus me rappeler qui de nous administra les boulettes.
Dédèche attend, couché, bien sage, dans sa corbeille. Et nous aussi nous attendons, nous écoutons de la pièce à côté, affalés sur des sièges, comme pris d'une immense fatigue.
Un quart d'heure passe, une demi-heure. Quelqu'un dit doucement:
Suite demain.
(Jules Renard, Histoires naturelles)
(Jules Renard, Histoires naturelles)
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