Dédèche est mort
C'était le petit griffon de Mademoiselle et nous l'aimions tous.
Il connaissait l'art de se pelotonner n'importe où, et, même sur une table, il semblait dormir au creux d'un nid.
Il avait compris que la caresse de sa langue nous devenait désagréable et il ne nous caressait plus qu’avec sa patte, sur la joue, finement. Il suffisait de se protéger l’œil.
Il riait. On crut longtemps que c'était une façon d'éternuer, mais c'était bien un rire.
Quoiqu’il n'eût pas de profonds chagrins, il savait pleurer c'est-à-dire grogner de la gorge, avec une goutte d'eau pure au coin des yeux.
Il lui arrivait de se perdre et de revenir à la maison tout seul si intelligemment, qu'à nos cris de joie nous tâchions d'ajouter des marques d'estime.
Sans doute, il ne parlais pas, malgré nos effort. En vain, Mademoiselle lui disait: "Si tu parlais donc un petit peu!"
Il la regardait, frémissant, étonné comme elle. de la queue, il faisait bien des gestes , il ouvrait les mâchoires, mais sans aboyer. Il devinait que Mademoiselle espérait mieux qu'un aboiement, et la parole était au coeur, près de monter à la langue et aux lèvres. Il aurait fini par la donner; il n'avait pas encore l'âge!
Un soir sans lune, à la campagne, comme Dédèche se cherchait des amis au bord de la route, un gros chien, qu'on ne reconnut pas, sûrement de braconnier, happa cette fragile boule de soie, la secoua, la serra, la rejeta et s'enfuit.
Suite demain.
(Jules Renard, Histoires naturelles)
(Jules Renard, Histoires naturelles)
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