BLOG AMOUREUX DE JULES RENARD

vendredi 3 mai 2013

La bibliothèque de Jules Renard aux enchères 2/2

Suite d'hier.
L'auteur du Plaisir de rompre et de Ragotte travaillait ainsi. La sève de sa personnalité était puisée aux sources de la race, mais la fleur n'était qu'à lui. Il avait profondément conscience  que le génie littéraire n'est pas une crémation brusque de la nature et que c'est une besogne que d'écrire. Ce trait a été remarquablement mis en lumière dans la préface de M. Fernand Vandérem au catalogue de la vente: "Parcourez les manuscrits de Jules Renard. Vous y apprendriez au prix de quelles peines se sont achevées ces pages en apparence si aisées.
Jules Renard, d'ailleurs, aimait à ne pas s'en cacher. Je n'oublie pas le plaisir que je lui fis en lui disant un jour:"notre génération produit, toi tu travailles." Edmond Rostand était présent, un Rostand jeune et fier, qui n'avait fait que ses premiers vers et qui fleurait déjà la gloire. Il sourit de l'extrême approbation que Jules Renard à cette remarque, mais je ne suis pas certain qu'il l'ait approuvée autant que lui.
Où "parlait-on littérature" en ces temps lointains? La lutte pour le succès, les honneurs, l'argent, si elle n'avait pas atteint  l'horrible âpreté d'aujourd'hui, commençait à briser les réunions littéraires. Car ce genre de relation dont un modèle exquis furent les soirées de Jules Renard, exige, malgré les ambitions rivales, un désintéressement d'une heure et le goût de la culture. Goût qui n'est réservé maintenant qu'à une toute petite élite, s'amincissant encore chaque année, chaque saison, par le choc des nécessités sociales.  Je n'y devine pourtant qu'une décadence momentanée, moins peut-être, un simple fléchissement du au poids trop lourd de la vie actuelle si dure aux gens de lettres. Attendons avec confiance une période où les écrivains ne se croiront pas obligés d'être des illettrés.
Alors, je ne veux voir dans la bibliothèque de Jules Renard que son aspect symbolique. Elle signifie le culte de l'esprit. Les livres qui vont en être arrachés par la piété ou la curiosité des amateurs, ont assisté à une charmante et noble existence. Elle s'est tout entière déroulée devant eux. Qu'ils s'en aillent chez des étrangers! Moi, je les garde assemblés dans ma mémoire, comme des témoins et des surveillants.
Alfred Capus de l'Académie française.
(Le Gaulois du Dimanche, p.3, 12 février 1921.)

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