samedi 9 mars 2013

Jules Renard vu par Maurice Pottecher 2/7

Suite d'hier.
- Je ne manquerai pas de faire connaître ce désir à vos concitoyens, quand la minute sera venue, et si je suis encore là; car je suppose bien que vous ma le communiquez avec cette intention?
Selon son habitude, quand il se moquait ainsi, son visage gardait un air sérieux; mais ses yeux avaient une petite lueur qui éclairait et rendait amicale son ironie.
- Et je vous charge aussi de prononcer mon éloge funèbre, lui dis-je, moitié plaisant, moitié sérieux.  Je ne suis pas sûr qu'il ne s'y glissera pas quelques critiques, mais je suis certain qu'il n'y aura pas de fautes de français.
- C'est entendu, et à charge de revanche, si je pars le premier.
Il est parti le premier, trop tôt, bien trop tôt. Et voilà qu'aujourd'hui, ma prédiction déjà se réalise.
Vous l'avez, Jules Renard, votre monument  de pierre et de bronze, au haut duquel le sculpteur a essayé de ressusciter votre insaisissable sourire, que la mort avait si terriblement figé. Il vous a, grâce à Dieu, épargné la redingote. Des poules de pierre blanche tendent le bec aux pieds du petit Poil de Carotte qui rappelle à la fois votre douloureuse enfance et la plus célèbre de vos œuvres; elles se trouveront, comme le dit votre bon "disciple", Henri Bachelin, mêlées aux vrais cocottes de chair et de plume qui viendront picorer sur cette petite place, derrière l'église, dont l'ombre, par derrière, s'étendra chaque soir pour vous prendre; mais vous ne la verrez pas, car vous lui tournez le dos. Et c'est dans votre village nivernais, au milieu de vos concitoyens, - de vos administrés, Monsieur le Maire, - que votre image habitera.
De tous les hommages que l'on pouvait vous rendre, c'est celui-là qui vous convenait le mieux et contre lequel vous n'auriez pas voulu vous défendre; je n'entends pas en moi votre ombre, railleuse et tendre, se plaindre. J'ai cru la voir pincer les lèvres et prendre des notes, à quelques détails de la cérémonie; mais en somme, elle a approuvé. C'est sur cette terre paysanne qu'il vous fallait, Parisien adopté par Paris, rattacher la dernière de vos racines, celle que la vie de l'art  maintient entre l'écrivain et l’œuvre, quand la mort a tout élagué. C'est de cette terre que vous tiriez le meilleur de votre originalité, le plus sûr de votre force; et c'est elle qui gardait le meilleur de votre amour.
Suite demain.
(Maurice Pottecher, Les Cahiers d'aujourd'hui, n°7, octobre 1913.)

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