samedi 9 février 2013

Intermède

Les Guermantes n'étaient pas moins spéciaux au point de vue intellectuel qu'au point de vue physique.  Sauf le prince Gilbert (l'époux aux idées surannées de "Marie-Gilbert" et qui faisait asseoir sa femme à gauche quand ils se promenaient en voiture, parce qu'elle était de moins bon sang, pourtant royal, que lui, mais il était une exception et faisait, absent, l'objet des railleries de la famille et d'anecdotes toujours nouvelles), les Guermantes, tout en vivant dans le pur "gratin" de l'aristocratie, affectaient de ne faire aucun cas de la noblesse. Les théories de la duchesse  de Guermantes, laquelle à vrai dire à force d'être Guermantes devenait dans une certaine mesure quelque chose d'autre et de plus agréable, mettaient tellement  au-dessus de tout l'intelligence et étaient en politique si socialistes qu'on se demandait où dans son hôtel se cachait le génie chargé d'assurer la maintien de la vie aristocratique, et qui, toujours invisible, mais évidemment tapi tantôt dans l'antichambre, tantôt dans le salon, tantôt dans le cabinet de toilette, rappelait aux domestiques de cette femme qui ne croyait pas aux titres de lui dire "Madame la duchesse", à cette personne qui n'aimait que la lecture et n'avait point de respect humain, d'aller dîner chez sa belle-sœur quand sonnaient huit heures et de se décolleter pour cela.
(Marcel Proust, Le Côté de Guermantes, Folio classique, p. 426.)

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