BLOG AMOUREUX DE JULES RENARD

dimanche 3 février 2013

En suivant l'ombre de Jules Renard 2/2

Suite d'hier.
Jules Renard est partout ici, comme dans un jeu de glaces qui se renvoie l'image. Mais mieux encore dans la "vieille maison". Des fragments du Journal  laissé par Jules Renard se plaignent. Ils datent du moment où l'auteur se sait condamné: "Vivre en s'amusant avec la mort. Peut-être ne reverrais-je pas la Vielle Maison. Étrange punition"... Il n'est est pas revenu. Il est mort à Paris, qui l'épouvantait encore.
J'ai parcouru la vieille maison, en retenant mes pas, en craignant de faire saigner les planches. Tout conserve une vie insolite. aux fenêtres ouvertes,  on voit des pigeons "les coudes au bord du ciel", on entend l'âne braire avec ce cri rouillé "pareil à la noria d'un puits". Tout reste marqué par cet oeil impitoyable et Chitry n'est plus libre: il vit comme Jules Renard a dit qu'il vivait. L'art impose à ses sujets des certitudes définitives.
La vieille maison appuie. Les matelas roulés sur les lits ont leur drame. Le porte-manteau de bois courbé conserve un vieux canotier jauni, celui de l'Écornifleur. Ai-je vu, sur la carpette usée, une traînée de gouttes grises de sérosités anciennes? Et ce fusil suspendu au mur, n'est-ce pas celui que graissait M. Lepic, cerné par une maladie incurable, d'une balle à la tête, il se libéra? Les meubles craquent. Des reflets insolites palpitent aux glaces moisies des armoires. Intimité trouble. Il vaut mieux sortir.
Savais-je que je me trouvais soudain dans ce silence intolérable? Avec, devant moi, le puits?
Elle est tombée en arrière. Des jupes à fleur d'eau, des remous,  comme quand on a noyé un animal. Pas de figure humaine.
Ainsi le Journal commente la mort de Mme Renard.
Dans ce puits. Ici même.
Le fils veut descendre dans le seau au bout de la chaine. Mais la chaîne est enroulée.
- Mes bottines sont ridiculement trop longues et plient au fond du seau.
Des ouvriers descendent par une échelle et ramènent le corps.
"Figure un peu effrayante qui sort du puits", note Renard.
Puis, plus tard:
"Accident impénétrable. Jeu lent de la lune sur le drap.  Il a fallu qu'elle tombe comme un bois mort. Pas une égratignure. Un dégoût. Mais un dégoût de quoi? Je ne saurais le dire."
Le soir tombe sur Chitry où les morts fidèles reviennent, tels que Renard les avait pressentis au hasard des ronces qui retenaient son bras, de la main nocturne qui battait à la persienne. Ils reviennent comme le petit Joseph, le dernier né de Ragotte, valet de chambre à Paris, qui se promenait la nuit, parmi les choux, sous la forme d'une lanterne; comme la vieille Honorine qui mourut sous sa brouette et qui continue le soir, dans les ornières de pluie, à pousser sa charge de lessive.
Et l'on n'ose plus marcher sur l'herbe, et l'on n'ose plus interroger la nuit noire où Poil de Carotte tremblait d'aller fermer, au fond du jardin, la porte des poules...
"Si je recommençais ma vie, a dit Jules Renard, je la voudrais tel quel!" J'ouvrirais seulement un peu plus l’œil..."
(Geneviève Dunais, Radio national, n°66, 23 août 1942)

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