samedi 26 janvier 2013

Les Bucoliques vues par Léon Blum

Un livre de Jules Renard
Une préface grave et entière où je goûte avec amour le ton perdu des moralistes, la foi religieuse dans le travail, la fierté d'écrire, la vertu d'une conscience difficile: classicisme, optimisme et jansénisme. Des mots et des traits d'enfant, menus, précieux ou profonds. Des paysages concentrés et forts. Des portraits que je ne peux comparer qu'aux plus achevés de La Bruyère, Le Mangeur de prunes; le Collectionneur d'estampes, ou Diphile, l'amateur d'oiseaux, - des portraits dont on suit lentement l'étude et le progrès, qui livrent peu à peu des physionomies achevées touche à touche, où chaque état ne révèle souvent qu'une seule forme caractéristique, un unique détail nouveau, une courte phrase révélatrice, et qui accusent leur vie et leur singularité par une sorte de juxtaposition nécessaire. Voilà ce que je veux signaler dans les Bucoliques, la dernière œuvre de M. Jules Renard.
Il en faudrait parler avec plus de minutie; je ne connais pas de livres où le sentiment d'ensemble soit plus nécessairement le résultat, l'addition grossie des impressions de détail. Et je sens aussi que pour juger M. Renard il faudrait donner au critique des moyens et des termes qui lui manquent. J'employais la langue des graveurs ou des peintres, et ce n'était pas une affectation. Voit-on personne chez qui le talent s'allie plus étroitement avec la manière, la pensée avec la matière, et les sentiments avec les mots?
S'il faut résumer mon jugement en une formule, je dirai pourtant que les Bucoliques sont l’œuvre d'une sorte de réalisme lyrique.
(Léon Blum, La Revue blanche, n°121, 15 juin 1898.)

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