BLOG AMOUREUX DE JULES RENARD

lundi 14 janvier 2013

Jules Renard critique littéraire

Bonne Dame d'Edouard Estaunié.
- A : Je trouve ce livre-là très beau. - B : Avez-vous noté les maladresses ? - A : Monsieur Edouard Estaunié est un garçon plein de talent. - B : Vous en parlé familièrement, mais il manque de métier, mais il manque de métier. - A : J'ai en horreur les professionnels. - B : Avouez que « Bonne Dame » est malheureuse un peu longuement. On n'est pas malheureux comme ça. Elle a l'air de souffrir exprès, pour obtenir une médaille. - A : J'aime « Bonne Dame » entièrement, y compris son argot original. - B : C'est original d'estropié des mots ? - A : Citez moi beaucoup de « jeunes » capables de faire vivre un pareil type pendant trois cent pages ? - B : Il se mourait depuis la centième. - A : Au moins, goûtez-vous, comme-moi, les images nombreuses ? - B : Les meilleures m'auraient suffi. - A : Rappelez-vous : « Bonne-Dame roule, roule, au lieu de marcher, semblable à quelque cloche tombée sur terre, faute d'ailes, pendant le voyage du jeudi-saint » ; et encore : « La ligne télégraphique semblait une quintuple portée sur laquelle des oiseaux marquaient des notes ». Et Cætera ! Et cætera ! Les lettres de Féfé sont vraiment exquises. - B : Exquises, les lettres d'une petite fille mal élevée ! Vous vous démoralisez. - A : Le voyage à Montauban est un pur chef-d’œuvre. - B : Cela vous amuserait, vous, d'attendre dix heures dans la neige la correspondance d'un train ? - A : Je ne sais rien de plus navrant que le séjour de « Bonne Dame » chez sa fille. - B : Quel gendre a jamais traité de la sorte une belle-mère riche ? - A : Rien de plus lamentable que son abandon, sa fuite à Paris, son bonheur enfin, à l'asile, de sacrifiée incorrigible. - B : L'auteur est de votre avis. A propos, pourquoi montre-t-il toujours le bout de ce qu'il pense ? Que nous importent des phrases de ce genre : « Il faut avoir connu les grandes douleurs pour pratiquer les grandes indulgences à l'égard de l'âpre vie » - ou bien : « De même que la santé morale est le principe facteur du bien-être physique, ainsi l'existence...... » - ou mieux : « Les cœurs aimants sont les plus inconséquents ». - A : Bref, mon petit, puisque vous êtes malin, faites-en donc autant. - B : Oh ! Si vous en venez aux personnalités !.....
(Jules Renard, Les livres, Mercure de France, janvier 1892.)

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