Il y a une dizaine d'années, M. Guist'hau, alors ministre de l'Instruction publique, et sous les ordres duquel je me trouvais placé comme directeur de l'Odéon, ayant à m'accorder je ne sais quoi, m'avait dit: "Antoine, c'est entendu, mais à la condition que vous viendriez à Nantes faire une conférence!" Il ne se doutait guère de ce qui l'attendait, et ni moi non plus du reste. Au jour convenu, je me rendis là-bas pour parler du théâtre contemporain; et pris d'un bel accès de fanatisme, je fis, paraît-il, une causerie dont la vivacité eut des échos à Paris.[...]
Pour aujourd'hui, et pour terminer, je ne voudrais retenir que l'un des auteurs qui allaient sortir de la scène de Strasbourg, et c'est Jules Renard. Jules Renard a peu produit; nous n'avons de lui que trois ou quatre pièces, il a disparu trop tôt; mais, après avoir esquissé un théâtre qui allait laisser des traces profondes.
Jules Renard, au début, s'était consacré à des croquis de son pays et de son entourage; puis, un jour, il en a tiré Poil de Carotte. Je le connaissais peu, il vivait à l'écart. On lui avait dit que sa pièce n'était pas du théâtre, qu'elle était longue, sans action, sans mouvement, et qu'il aurait tort de la faire jouer. Je ne veux pas dire le nom du camarade célèbre qui lui donnait ce conseil et je ne conte cette histoire que pour montrer combien, en ces matières, les plus experts peuvent se tromper. De sorte que Renard vint me trouver.
- Je suis très perplexe, me dit-elle. Cet ami a peut-être raison...
Après la lecture, mon opinion était nette.
- Vous venez de faire un chef d’œuvre, lui dis-je, en lui sautant au cou.
Et, en effet, c'était un chef d-œuvre, un chef d’œuvre que la Comédie-Française a pu accueillir plus tard, et encadrer dans ses lambris dorés cette petite cour de province où vivent ces humbles êtres, personnages désormais classés à côté des figures les plus solides du répertoire. C'est pourquoi j'ai voulu terminer cette causerie en vous faisant entendre une des scènes principales de Poil de Carotte.
Mon ami Léon Bernard a bien voulu se charger de ce rôle du père Lepic, qu'il tient à la Comédie-Française avec Mme Bovy, le Poil de Carotte le plus complet que j'ai jamais vu. Et chaque fois que je la vois dans ce personnage, je pense au pauvre Renard, en me disant:
- Quel dommage qu'il n'ait pas pu voir ce Poil de Carotte-là!
(André Antoine, Conférencia, journal de l'université des annales, n°2, 1er janvier 1923.)
Jules Renard, au début, s'était consacré à des croquis de son pays et de son entourage; puis, un jour, il en a tiré Poil de Carotte. Je le connaissais peu, il vivait à l'écart. On lui avait dit que sa pièce n'était pas du théâtre, qu'elle était longue, sans action, sans mouvement, et qu'il aurait tort de la faire jouer. Je ne veux pas dire le nom du camarade célèbre qui lui donnait ce conseil et je ne conte cette histoire que pour montrer combien, en ces matières, les plus experts peuvent se tromper. De sorte que Renard vint me trouver.
- Je suis très perplexe, me dit-elle. Cet ami a peut-être raison...
Après la lecture, mon opinion était nette.
- Vous venez de faire un chef d’œuvre, lui dis-je, en lui sautant au cou.
Et, en effet, c'était un chef d-œuvre, un chef d’œuvre que la Comédie-Française a pu accueillir plus tard, et encadrer dans ses lambris dorés cette petite cour de province où vivent ces humbles êtres, personnages désormais classés à côté des figures les plus solides du répertoire. C'est pourquoi j'ai voulu terminer cette causerie en vous faisant entendre une des scènes principales de Poil de Carotte.
Mon ami Léon Bernard a bien voulu se charger de ce rôle du père Lepic, qu'il tient à la Comédie-Française avec Mme Bovy, le Poil de Carotte le plus complet que j'ai jamais vu. Et chaque fois que je la vois dans ce personnage, je pense au pauvre Renard, en me disant:
- Quel dommage qu'il n'ait pas pu voir ce Poil de Carotte-là!
(André Antoine, Conférencia, journal de l'université des annales, n°2, 1er janvier 1923.)
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