Je crois que la vie nous paraîtrait brusquement délicieuse, si nous étions menacés de mourir comme vous le dites. Songez, en effet, combien de projets, de voyages, d'amours, d'études, elle - notre vie - tient en dissolution, invisibles à notre paresse qui, sûre de l'avenir, les ajourne sans cesse.
Mais que tout cela risque d'être à jamais impossible, comme cela redeviendra beau! Ah! si seulement le cataclysme n'a pas lieu cette fois, nous ne manquerons pas de visiter les nouvelles salles du Louvre, de nous jeter au pied de Mlle X..., de visiter les Indes. Le cataclysme n'a pas lieu, nous ne faisons rien de tout cela, car nous nous trouvons replacés au sein de la vie normale, où la négligence émousse le désir.
Et pourtant nous n'aurions pas dû avoir besoin du cataclysme pour aimer aujourd'hui la vie. Il aurait suffi de penser que nous sommes des humains et que ce soir peut venir la mort.
(Marcel Proust, Essais et articles, Après la guerre, La Pléiade, p. 645.)
(Marcel Proust, Essais et articles, Après la guerre, La Pléiade, p. 645.)
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