Arrivant de l’horizon, notre
navire est confronté par le quai du Monde, et la planète émergée déploie devant
nous son immense architecture. Au matin décoré d’une grosse étoile, montant à
la passerelle, à mes yeux l’apparition toute bleue de la Terre. Pour défendre
le Soleil contre la poursuite de l’Océan ébranlé, le Continent établit le
profond ouvrage de ses fortifications ; les brèches s’ouvrent sur
l’heureuse campagne. Et longtemps, dans le plein jour, nous longeons la frontière
de l’autre monde.
Animé par le souffle alizé, notre
navire file et bondit sur l’abîme élastique où il appuie de toute sa lourdeur.
Je suis pris à l’Azur, j’y suis collé comme un tonneau. Captif de l’infini,
pendu à l’intersection du Ciel, je vois au-dessous de moi toute la Terre sombre
se développer comme une carte, le Monde énorme et humble. La séparation est
irrémédiable ; toutes choses me sont lointaines, et seule la vision m’y
rattache. Il ne me sera point accordé de fixer mon pied sur le sol inébranlable,
de construire de mes mains une demeure de pierre et de bois, de manger en paix
les aliments cuits sur le foyer domestique.
Bientôt nous retournerons notre
proue vers cela qu’aucune rive ne barre, et sous le formidable appareil de la
voilure, notre avancement au milieu de l’éternité monstrueuse n’est plus marqué
que par nos feux de position.
(Paul Claudel, Connaissance de l’est, Larousse, 1920.)
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