Ramener les images au bercail où on les examine, où on les compte, où l'on sépare les saines des galeuses.
BLOG AMOUREUX DE JULES RENARD
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vendredi 30 novembre 2012
Les amis de Jules Renard
Les Amis de Jules Renard plus nombreux.
Marinette et Jules Renard photographiés en 1905 par Lucien Guitry ? Photo d’archives Fred Lonjon. |
jeudi 29 novembre 2012
Journal du 29 novembre 1904
Guitry ne répond pas. C'est une amitié finie. Je me sens, ma foi, plus léger. Peut-être que cet homme, à qui je dois des moments si délicieux, a fait beaucoup de mal au barbare, au travailleur que j'étais.
Le souvenir de cette amitié n'est pas peu de choses, et il me serait plus pénible d'y renoncer qu'à l'amitié même.
Il m'a plus donné que je ne lui ai rendu.
C'était l'ami riche. Repas, automobile, voyage, théâtre, argent, esprit, que d'histoires! Je lui dois des tas de choses, mais lui, que me doit-il? Presque rien.
Je ne suis ni riche ni éblouissant. Il me doit peut-être ceci: qu'on s'étonnait de mon amitié pour lui. Je lui servais d'honnête support. Moi n'étant plus là, il va peut-être fléchir dans l'estime de gens qui se croient plus de moralité que les autres.
Même supérieur comme Guitry, on finit toujours par se fatiguer d'un homme "scrupuleux" et par mépriser celui qui accepte tout.
mercredi 28 novembre 2012
L'homme ligoté
Depuis le 4 mai 2012, je publie le texte de Jean-Paul Sartre consacré à Jules Renard: "L'homme ligoté, Notes sur le Journal de Jules Renard". Aujourd'hui, 23ème et dernière page.
Pour lire le texte intégral, cliquer sur l'onglet "l'homme ligoté" dans la liste des libellés, à droite de cette page.
Suite et fin.
Il s'est tu, il n'a rien fait. Son entreprise fut de se détruire. Saucissonné, bâillonné par sa famille, par son époque et son milieu, par son parti pris d'analyse psychologique, par son mariage, stérilisé par son Journal, il n'a trouvé de ressources que dans le rêve. Ses images, qui devaient d'abord s'enfoncer comme des griffes dans le réel, sont vite devenues des rêveries-minutes, en marge des choses. Mais il avait trop peur de perdre pied pour songer à construire, au delà du monde, un univers qui lui fut personnel. Il revenait bien vite aux objets, à ses amis, à sa décoration, et ses rêves les plus persistants - parce qu'ils étaient les moins dangereux - se sont bornés à caresser les images d'un bon petit adultère tout plat qu'il a rarement osé commettre.
De la même façon, son Journal, parti pour être un exercice de sévérité lucide, devient très vite un coin ombreux et tiède de complicité honteuse avec lui-même. C'est la contre-partie des redoutables silences en famille de M. Lepic. Il s'y déboutonne - ce qui ne parait pas d'abord, parce que le style est en habit. Il agonise sa vie, le réalisme finissant l'a élu pour agoniser en lui. Pourtant, - est-ce par cette tentative acharnée de se détruire, est-ce par ce morcellement systématique de la grande période flaubertienne, est-ce par son pressentiment toujours trompé du concret individuel, par delà les apparences abstraites de l'empirisme? - pourtant ce moribond témoigne d'une sorte de catastrophe qui a pesé sur les écrivains de la "Fin de Siècle" et qui, directement ou indirectement, est à l'origine de la littérature contemporaine.
Fin.
(Jean-Paul Sartre, Situations I, Gallimard, 1947.)
Suite et fin.
Il s'est tu, il n'a rien fait. Son entreprise fut de se détruire. Saucissonné, bâillonné par sa famille, par son époque et son milieu, par son parti pris d'analyse psychologique, par son mariage, stérilisé par son Journal, il n'a trouvé de ressources que dans le rêve. Ses images, qui devaient d'abord s'enfoncer comme des griffes dans le réel, sont vite devenues des rêveries-minutes, en marge des choses. Mais il avait trop peur de perdre pied pour songer à construire, au delà du monde, un univers qui lui fut personnel. Il revenait bien vite aux objets, à ses amis, à sa décoration, et ses rêves les plus persistants - parce qu'ils étaient les moins dangereux - se sont bornés à caresser les images d'un bon petit adultère tout plat qu'il a rarement osé commettre.
De la même façon, son Journal, parti pour être un exercice de sévérité lucide, devient très vite un coin ombreux et tiède de complicité honteuse avec lui-même. C'est la contre-partie des redoutables silences en famille de M. Lepic. Il s'y déboutonne - ce qui ne parait pas d'abord, parce que le style est en habit. Il agonise sa vie, le réalisme finissant l'a élu pour agoniser en lui. Pourtant, - est-ce par cette tentative acharnée de se détruire, est-ce par ce morcellement systématique de la grande période flaubertienne, est-ce par son pressentiment toujours trompé du concret individuel, par delà les apparences abstraites de l'empirisme? - pourtant ce moribond témoigne d'une sorte de catastrophe qui a pesé sur les écrivains de la "Fin de Siècle" et qui, directement ou indirectement, est à l'origine de la littérature contemporaine.
Fin.
(Jean-Paul Sartre, Situations I, Gallimard, 1947.)
mardi 27 novembre 2012
Journal du 27 novembre 1902
L'art dramatique, quelques-uns oublient trop que c'est quand même un métier d'hommes de lettres.
L'homme ligoté
Suite du 18 novembre.
Voilà Renard entièrement ligoté: c'est qu'il est, en dépit de quelques dénégations sans force, un réaliste.
Or, le propre du réaliste, c'est qu'il n'agit pas. Il contemple, puisqu'il veut peindre le réel tel qu'il est, c'est-à-dire tel qu'il apparaît à un témoin impartial. Il faut qu'il se neutralise, c'est son devoir de clerc. Il n'est pas, il ne doit jamais être "dans le coup". Il plane au-dessus des partis, au-dessus des classes, et, par cela même, il s'affirme comme bourgeois, car le caractère spécifique du bourgeois est de nier l'existence de la classe bourgeoise.
Sa contemplation est d'un type particulier: c'est une jouissance intuitive accompagnée d'émotion esthétique. Seulement, comme le réaliste est pessimiste, il ne voit, dans l'univers, que désordre et laideur. Sa mission est donc de transporter tels quels les objets réels dans des phrases dont la forme soit susceptible de lui donner une jouissance esthétique. C'est en écrivant, non en regardant, que le réaliste trouve son plaisir, et la marque qui lui permet d'apprécier la valeur de la phrase qu'il écrit, c'est la volupté que la phrase lui procure. Ainsi ce réalisme nihiliste conduit Renard, comme avant lui Flaubert, à une conception toute formelle de la beauté.
La matière est morveuse et sinistre, mais ces sensibilités d'élite vibrent à la phrase qui pare avec magnificence cette pauvreté. Il s'agit d'habiller la réalité. La belle période oratoire de Flaubert devient donc le petit silence instantané de Renard. Mais ce silence a, lui aussi, l'ambition d'être de marbre. nous voilà revenus, une fois encore, à notre point de départ: une belle phrase, pour Renard, c'est celle qui peut être gravée sur une stèle. La beauté, c'est l'économie de la pensée, c'est un minuscule silence de pierre ou d'airin, en suspens dans le grand silence de la Nature.
Suite et fin demain.
(Jean-Paul Sartre, Situations I, Gallimard, 1947.)
lundi 26 novembre 2012
Journal du 26 novembre 1908
Dîner Goncourt. D'abord, tout va bien pour Viollis. Puis on passe à Miomandre, le candidat de Bourges.
Seul, Hennique me parle de Ragotte, qu'il aime. Les autres ont reçu le livre.
On demande:
- Pourquoi Marguerite ne vient-il pas?
- Il a honte, dit Bourges.
Je demande s'il faut être discret, et jusqu'à quel point, à propos de l'Académie Goncourt. Seul, Léon Daudet me dit qu'il faut tout dire. Il n'y a que la vérité qui compte.
Rosny aîné a seul le courage de trouver bien Barbusse.
Geoffroy et Daudet voudraient bien lire mes notes.
- Vous avez trop de pudeur, dit Geoffroy.
On parle antimilitaristes. Mon avis est que tout le monde l'est en temps de paix, et qu'en temps de guerre personne, ou presque, ne le serait.
dimanche 25 novembre 2012
Jules Renard vu par Jean Viollis 2/2
Suite d'hier.
Il (Jules Renard) confessait volontiers que le premier tirage de ses livres n'avait jamais dépassé mille exemplaires, car il savait qu'aucun n'était perdu. Du premier coup, Renard avait atteint l'élite des lecteurs. Il put ressentir en silence la satisfaction de se retrouver d'abord chez ses compagnons de lettres, puis chez ceux qui ont suivi. Cet homme qu'on disait sec et stérile a fécondé plus d'un auteur sans qu'on y prît garde; lui, s'en apercevait avec un contentement secret. Mais ce résultat, qu'il ne négligeait nullement, n'était pas encore celui qu'il voulait atteindre.
Ecrivain digne de ce nom, il prétendait assurer à ses oeuvres une absolue perpétuité; il écrivait pour la langue française et non pour les modes du jour. Tout ce qui sortait de sa plume était lancé pour une trajectoire illimitée. Il vécut volontairement pauvre et modeste afin d'avoir le droit de revendiquer une longue célébrité après sa mort. Ce taciturne voyait simplement l'avenir. On ne saura jamais les joies profondes, l'exhaltation brûlante, le goût de victoire, l'amour acharné du triomphe, qui dissimulait son recueillement. Les naîfs l'ont plaint; je l'envie encore...
(Jean viollis, Les Marges, juillet 1910.)
samedi 24 novembre 2012
Jules Renard vu par Jean Viollis 1/2
Jules Renard
Un ami résumait ainsi l'autre matin, son opinion sur l'auteur de Poil de Carotte: "Pas d'argent. Peu de gloire. Mort à quarante-six ans. Quel guignard!"
Confrère, il est fâcheux que le guignard ne fût plus là pour vous entendre. C'eût été sa dernière joie. Lui, n'eût pas voulu, ne pouvant changer ses guignes contre une de ces veines qui vous laissent, sans doute, extasié. Pas d'argent, c'est vrai: mais une vie propre. Peu de gloire, l'estime passionnée de ses égaux.
Et si Jules Renard est parti jeune (Molière aussi), c'est avec la juste fierté de voir autour de lui, muets, anxieux, déchirés, tous ceux qui savent admirer un honnête homme et un littérateur parfait. Confrère, ça vaut bien l'encens dont on enveloppe tels autres, vivants ou morts.
Jules Renard, s'il fut un modèle de discrétion connaissait la valeur durable de son œuvre. Il possédait assez de simplicité forte et vraie pour s'avouer qu'il travaillait pour un long avenir. Ce sentiment, tenu caché, le payait de tous les mécomptes par une sincérité sans défaut. Renard avait cette assurance contre laquelle rien ne prévaut, même l'approche de sa mort.
Suite demain.
Jean Viollis, Les Marges, juillet 1910.)
vendredi 23 novembre 2012
Jules Renard vu par Franc-Nohain 3/3
Suite d'hier.
Dans la narration de cette aventure persistait un arrière-goût d'amertume qui nous révélait clairement que le conteur appréciait peu le sens des valeurs, le jugement littéraire des sous-officiers de Bourges.
Notre rupture? La cause, je vous l'ai dit, elle fut toute politique. je n'ai jamais aimé Jaurès. Une certaine éloquence m'a toujours déplu. Je déteste au surplus tous les excès et ma politique est une politique de brave homme, de juste milieu, comme mes vers...
Un jour donc, dans L’Écho de Paris, je fis un petit papier sans tendresse sur Jaurès. De Chaumot dont il était le maire et où il résidait alors, Jules Renard m'adressa un blâme circonstancié. Il écrivait toujours longuement. Il terminait en me déclarant qu'il était inutile de répondre à cette lettre. je pris alors un crayon et griffonnai en travers de la fulminante épitre: "Une lettre à laquelle je n'ai pas le droit de répondre est une lettre que je n'ai pas reçue."
Plus tard, lors de la représentation de la Bigote, je fis, dans la Vie parisienne dont j'étais critique dramatique, un feuilleton assez sévère. Se jugeant offensé, Jules Renard m'envoya ses témoins qui eurent avec les miens le bon goût d'arranger cette affaire ridicule. Il m'eût été fort pénible de me rencontrer sur le terrain avec un écrivain pour la conscience littéraire duquel j'avais tant de respect.
Nos vies demeurèrent séparées et je n'en souffris pas trop. Renard était autoritaire et j'ai toujours supporté difficilement les contraintes extérieures.
Fin.
(Franc-Nohain, les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 10 janvier 1925.)
Un jour donc, dans L’Écho de Paris, je fis un petit papier sans tendresse sur Jaurès. De Chaumot dont il était le maire et où il résidait alors, Jules Renard m'adressa un blâme circonstancié. Il écrivait toujours longuement. Il terminait en me déclarant qu'il était inutile de répondre à cette lettre. je pris alors un crayon et griffonnai en travers de la fulminante épitre: "Une lettre à laquelle je n'ai pas le droit de répondre est une lettre que je n'ai pas reçue."
Plus tard, lors de la représentation de la Bigote, je fis, dans la Vie parisienne dont j'étais critique dramatique, un feuilleton assez sévère. Se jugeant offensé, Jules Renard m'envoya ses témoins qui eurent avec les miens le bon goût d'arranger cette affaire ridicule. Il m'eût été fort pénible de me rencontrer sur le terrain avec un écrivain pour la conscience littéraire duquel j'avais tant de respect.
Nos vies demeurèrent séparées et je n'en souffris pas trop. Renard était autoritaire et j'ai toujours supporté difficilement les contraintes extérieures.
Fin.
(Franc-Nohain, les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 10 janvier 1925.)
jeudi 22 novembre 2012
Jules Renard vu par Franc-Nohain 2/3
Suite d'hier.
Le journaliste - Cette dernière proposition est troublante. C'est tout le problème de la technique qu'elle pose, et résout en un sens déterminé. Mon ami J.C. Goulinata a doté peintres et amateurs d'un précieux ouvrage: La technique des peintres. Hélas! La technique des écrivains est un livre plus difficile à écrire. Il faudrait braver le ridicule, ne pas craindre d'affirmer un certain dogmatisme. Et puis les règles ne sont peut-être pas aussi "matériellement évidentes"; la matière n'a pas comme dans la peinture, une existence séparée. En littérature, l'âme et le corps vivent d'une vie confondue. N'importe, je crois qu'aujourd'hui certains écrivains se privent d'une joie bien grande en ne considérant pas le "métier littéraire" dans toute sa complexité, comme un jeu mathématique et précis. Sans doute, il n'y a pas là de chimistes pour déterminer les mélanges dangereux ou interdits, mais les lois, pour être inexprimées, n'en sont pas moins réelles. Chaque écrivain doit seulement les trouver pour son propre compte. Les retrouver fut la seule passion de Jules Renard; sa passion et sa joie quand il les retrouve toutes.
Franc-Nohain -Renard eut sur nous tous une grosse influence: Marcel Boulenger lui doit beaucoup et aussi Tristan Bernard. Jules Renard avait conscience de la valeur de son œuvre et souffrait quand elle n'était pas assez reconnue. Il aimait à nous raconter une histoire de régiment que je vais vous dire. Il riait en nous la racontant mais je crois bien qu'il riait un peu jaune. A une certaine époque de sa vie, il était allé faire une période d'instruction - ses vingt-huit jours - à Bourges. Sergent, il prenait pension à la popote des sous-officiers. le premier soir, ses camarades l'interrogèrent amicalement sur ce qu'il faisait. Sa réponse (qu'il était "homme de lettres") tomba - sans susciter aucun mouvement - au milieu de l'indifférence générale. Quelques instants après, il eut l'occasion de dire qu'il était l'ami d'Alphonse Allais... Tous alors le félicitèrent bruyamment et décrétèrent d'enthousiasme un punche d'honneur pour l'ami Alphonse Allais.
Suite demain.
(Franc-Nohain, Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 10 janvier 1925.)
Suite demain.
(Franc-Nohain, Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 10 janvier 1925.)
mercredi 21 novembre 2012
Journal du 21 novembre 1906
Tous les hommes ont à peu près vu les mêmes choses, mais l'artiste seul sait les faire revenir à sa mémoire.
Jules Renard vu par Franc-Nohain 1/3
Suite d'hier.
Une heure avec Franc-Nohain.
Le journaliste - Comme Jules Renard, Franc-Nohain est nivernais. Les deux écrivains furent très liés. La politique un jour les sépara car tous les deux firent de la politique. Pas la même, naturellement.
Franc-Nohain - - Jules Renard était fermé à tout ce qui n'était pas la littérature. Il était le vrai type de l'homme de lettres. Peinture et musique n'existaient pas pour lui. N'allez pas vous imaginer qu'il eut l’esprit étroit et incapable de comprendre les arts qu'il ne pratiquait point. Il n'avait pas le temps, tout simplement. Il ne se reconnaissait pas le droit de voler du temps à son œuvre. Quand on travaille pour l'éternité, il faut avoir le courage de choisir et de suivre la voie étroite. Renard avait eu l'atroce courage de se limiter pour s'approfondir. il voulait être un maître. Il le serait devenu. Quel dommage qu'il soit mort si jeune! Il aurait aujourd’hui une situation considérable et il en serait bien heureux.
Quand il nous a été enlevé, il arrivait à la pleine maturité de son talent et il nous eût encore donné de nombreuses œuvres, riches de substances. Ce qu'il a eut le temps d'écrire suffit à lui assurer cette immortalité qu'il désirait exclusivement et de si touchante façon... Il y a peu d'exemples dans notre littérature d’œuvres qui, aussi rapidement, aussi naturellement, se soient classées à la juste place qui leur revient et d'où rien - chacun le sent - ne pourrait les déloger.
Sans le concours d'aucun snobisme ni d'aucun fanatisme, sans l'attaque d'aucune cabale ou coterie, d'aucune école, le solitaire et farouche Jules Renard est entré, à peine mort, dans la grande famille classique... Aucun livre de lui ne peut périr. Pourquoi? Tout simplement parce qu'ils sont écrits, parce que Renard avait la passion et le sens de l'écriture.
Ainsi un peintre, son dessin, sa composition, sa conception en un mot, aura beau être géniale, s'il emploie de mauvaises couleurs, si la matière où ses intuitions prennent forme n'est pas assez durable pour en transmettre le reflet, la figure à nos petits-enfants, génie ne saurait équivaloir pour lui à immortalité.
Suite demain.
(Franc-Nohain, Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 10 janvier 1925.)
mardi 20 novembre 2012
Jules Renard envoie ses témoins
Je dois à Mme M. Renard, belle-fille de l'écrivain, la communication du procès-verbal suivant:
"M. Jules Renard, s'étant cru visé personnellement par un mot détaché dans un article de M. Franc-Nohain, a prié MM. Marcel Boulenger et André Picard de se mettre en rapport avec les témoins de M. Franc-Nohain: Celui-ci a désigné, pour le représenter, MM. Abel Hermant et Marcel l'Heureux.
Les témoins de M. Jules Renard ayant acquis, par leur entretien avec les témoins de M. Franc-Nohain, l'assurance que l'interprétation donnée par M. Jules Renard au mot en question n'était nullement fondée, les quatre témoins ont reconnu que cette affaire ne comportait pas d'autre suite."
Fait en double à Paris, le 2 novembre 1909.
(Léon Guichard, Dans la vigne de Jules Renard, p. 296.)
Léon Guichard suggère deux articles pouvant avoir chatouillé la susceptibilité de Jules Renard. Le second est le bon. Il s'agit d'un article sur la Bigote publié dans La Vie Parisienne du 30 octobre 1909, comme le raconte Franc-Nohain dans une interview accordée à Frédéric Lefevre dans les Nouvelles littéraires du 10 janvier 1925.
A suivre demain.
A suivre demain.
lundi 19 novembre 2012
Journal du 19 novembre 1897
Le Pain de ménage. Hier, lecture chez Guitry à Mlle Brandès et Bernard.
Des violettes jetées sur une nappe où déjà sont brodées des violettes. Un buste, qui a cette originalité qu'on ne sait pas qui c'est. Brandès, qui est La Parisienne, dédaigne trop la tragédie, et Andromaque, qu'elle va jouer.
Une belle vue sur la place Vendôme où, par ce temps de Dreyfus, il ne manque qu'une guerre civile.
Je lis. Murmure flatteur, des: "Oh! que c'est bien!" Et j'ai la coquetterie de lire plus vite, pour qu'on ne m'interrompe pas.
dimanche 18 novembre 2012
L'homme ligoté
Suite du 8 novembre.
C'est qu'aussi Renard n'a jamais vécu seul. Il appartenait à une "élite"; il se considérait comme un artiste. Cette notion d'artiste venait des Goncourt. Elle a leur cachet de bêtise prétentieuse et vulgaire. C'est tout ce qui reste du poète maudit de la grande époque: l'Art pour l'Art a passé par là. Ce qui pèse sur la tête de Renard et de ses amis, ce n'est plus qu'une malédiction blanche, embourgeoisée, confortable: non plus celle du solitaire jeteur de sort, mais un signe d'élection.
Vous êtes maudit si vous avez une "cervelle" particulièrement friable et des nerfs en dentelle. Et, de fait, cette idée d' "artiste" n'est pas seulement la survivance dégradée d'un grand mythe religieux - celui du poète, vates - ; elle est surtout le prisme à travers lequel une petite société de bourgeois aisés et cultivés - qui écrivent - se saisissent et se reconnaissent comme l'élite de la IIIe République. Elle peut surprendre aujourd'hui: sans doute, Romain ou Malraux accorderaient-ils qu'ils sont des artistes, puisque enfin il est entendu qu'il y a un art d'écrire. Mais il ne paraît pas qu'ils se considèrent eux-mêmes sous cet angle de vue.
Il s'est fait de nos jours - surtout après la guerre de 1914 - une division du travail plus poussée. L'écrivain contemporain se préoccupe avant tout de présenter à ses lecteurs une image complète de la condition humaine. Ce faisant, il s'engage. On méprise un peu, aujourd'hui, un livre qui n'est pas un engagement. Quant à la beauté, elle vient par surcroît, quand elle peut. C'est la beauté et la jouissance d'art que Jules Renard met au premier rang de ses soucis. L'écrivain de 1895 n'est ni un prophète, ni un maudit, ni un combattant: c'est un initié. Il se distingue de la masse moins par ce qu'il fait que par le plaisir qu'il prend à le faire.C’est une volupté esthétique, fruit de ses nerfs "exquis", hypertendus, etc..., qui en fait un être d'exception. Et Renard se met en colère parce qu'un vieux violoniste prétend éprouver un plaisir d'art plus vif que les siens:
"Comparaison entre la musique et la littérature. Ces gens voudraient nous faire croire que leurs émotions sont plus complètes que les nôtres... J'ai peine à croire que ce petit bonhomme à peine vivant aille plus loin dans la jouissance d'art que Victor Hugo ou Lamartine, qui n'aimaient pas la musique."
A suivre.
(Jean-Paul Sartre, Situations I, Gallimard, 1947.)
Vous êtes maudit si vous avez une "cervelle" particulièrement friable et des nerfs en dentelle. Et, de fait, cette idée d' "artiste" n'est pas seulement la survivance dégradée d'un grand mythe religieux - celui du poète, vates - ; elle est surtout le prisme à travers lequel une petite société de bourgeois aisés et cultivés - qui écrivent - se saisissent et se reconnaissent comme l'élite de la IIIe République. Elle peut surprendre aujourd'hui: sans doute, Romain ou Malraux accorderaient-ils qu'ils sont des artistes, puisque enfin il est entendu qu'il y a un art d'écrire. Mais il ne paraît pas qu'ils se considèrent eux-mêmes sous cet angle de vue.
Il s'est fait de nos jours - surtout après la guerre de 1914 - une division du travail plus poussée. L'écrivain contemporain se préoccupe avant tout de présenter à ses lecteurs une image complète de la condition humaine. Ce faisant, il s'engage. On méprise un peu, aujourd'hui, un livre qui n'est pas un engagement. Quant à la beauté, elle vient par surcroît, quand elle peut. C'est la beauté et la jouissance d'art que Jules Renard met au premier rang de ses soucis. L'écrivain de 1895 n'est ni un prophète, ni un maudit, ni un combattant: c'est un initié. Il se distingue de la masse moins par ce qu'il fait que par le plaisir qu'il prend à le faire.C’est une volupté esthétique, fruit de ses nerfs "exquis", hypertendus, etc..., qui en fait un être d'exception. Et Renard se met en colère parce qu'un vieux violoniste prétend éprouver un plaisir d'art plus vif que les siens:
"Comparaison entre la musique et la littérature. Ces gens voudraient nous faire croire que leurs émotions sont plus complètes que les nôtres... J'ai peine à croire que ce petit bonhomme à peine vivant aille plus loin dans la jouissance d'art que Victor Hugo ou Lamartine, qui n'aimaient pas la musique."
A suivre.
(Jean-Paul Sartre, Situations I, Gallimard, 1947.)
samedi 17 novembre 2012
vendredi 16 novembre 2012
Journal du 16 novembre 1889
Une grande bouche, une petite voix. Figurez-vous un vent coulis qui sortirait par une porte cochère.
Jules Renard vu par Léon Daudet 2/2
Suite d'hier.
Celui qui le tira de la gêne fut Lucien Guitry, aidé de sa belle amie Marthe Brandès. Ils lui firent mettre au théâtre, ce petit chef d-œuvre à la Vallès, Poil de Carotte et s'ingénièrent à lui rendre moins âpre sa vie littéraire, où il se comportait comme un enfant. Quel être délicieux, ce Guitry, et quel malheur qu'il soit parti si tôt, laissant d'ailleurs ce fils incomparable, notre Calderon, comme cela ce saura plus tard!
Guitry avait adopté Rostand, qui, lui, était prétentieux et assommant - "immangeable", disait Capus - , et Renard, privé de succès, vivait ainsi dans la compagnie de l'auteur neurasthénique de Cyrano, dont il n'aimait guère la grande habileté dramatique, sans poésie. J'ai oublié de dire que Renard était fanatique de Victor Hugo et ne supportait pas, à son sujet, la moindre restriction. En outre, Renard ne voulait pas qu'on put attribuer au triomphe à mille cymbales de Rostand, le peu de goût qu'il avait au fond pour ses œuvres, et il se forçait à en faire l'éloge, ce qui était bien amusant.
Puis, de temps en temps, dans l'intimité, il se débondait tout à coup. S'il s'agissait de Rostand, par hasard, au Goncourt, Huysmans, de sa bouche amère et fertile en jugements abrupts, laissait tomber sa formule habituelle : "Ah! c'est un bien déconcertant salaud!" Mirbeau, en se rongeant les ongles, acquiesçait. Barrès n'avait pas plus de goût pour Renard que Renard n'en avait pour Barrès. Barrès disait de Renard: "C'est un jardinier." et me demandait quand nous dînions ensemble de ne pas le mettre à côté de lui: "Il me donnerait des coup de pied sous la table."
Chose curieuse, Renard, à l'académie Goncourt passa à peu près inaperçu. Il arrivait, jaune et creusé, s'asseyait, tirait de sa poche une liste de candidats possibles, la lisait. On ne lui prêtait aucune attention. Alors il repliait son papelard, avec une certaine humeur, serrait quelques mains, puis s'en allait, le front en avant, comme un santon de la nuit de Noël. Il était sans communication avec son prochain et d'accord avec des fourmis qui, d’après lui, étaient toujours 3333. C'était un grand qualitatif borné et comme étouffé par les qualitatifs de notre époque. Je pense, avec tendresse, à lui bien souvent.
(Léon Daudet, Action française, 20 décembre 1938.)
(Léon Daudet, Action française, 20 décembre 1938.)
jeudi 15 novembre 2012
Journal du 15 novembre 1894
Pour arriver, il faut faire ou des saletés, ou des chefs-d’œuvre. Êtes-vous plus capable des unes et des autres.
Jules Renard vu par Léon Daudet 1/2
Mme Jules Renard, femme charmante, délicate, et adorée de son difficile époux, a-t-elle eu raison de détruire quelques passages acerbes des Mémoires de son mari? Certainement oui et loin d'être une "veuve abusive", comme dit de Monzie dans son beau livre, elle a été, en cela, une veuve prévoyante et prudente. En effet, l'auteur de Poil de Carotte était un écrivain d'humeur - j'ajouterai d'humeur massacrante - et quand il s'irritait contre l'un ou l'autre, c'était en traits de feu. Puis il le regrettait.
Je l'ai beaucoup connu et fréquenté à ses débuts, car il était fort amusant, se fichait du tiers et du quart et était animé de deux passions: l'encre et l'épée. J'allais le prendre chez lui, rue du Rocher, où il habitait avec les siens, une petite boite à mouches. Nous allions faire des armes ensemble et nous revenions boire, en devisant, un verre ou deux d'un vin blanc exquis et frais, de son patelin. Par la suite, il fut des nôtres à l'Académie Goncourt et je le vois toujours, avec sa tête flambante et cabossée à la Rochefort, donnant son avis sur tous les candidats. Il avait horreur de Mirbeau, dont il a fait un portrait atroce dans son "Journal", que Mme Renard n'a pas déchiré.
Il était passionnément républicain, avec des arguments à la Homais et il me disait: " Je voudrais pouvoir vous détester. Mais cela m'est difficile". Je lui répondais: "Je m'en fiche et je vous aime bien". C'était vrai. Ce fut un de nos bons écrivains, un homme de métier, loyal et griffu. Il faisait du grand avec du petit. Il accueillait, comme Mirbeau, avec facilité les ragots, les choses qu'un homme digne de ce nom n'écoute pas. Je n'y ai jamais prêté mes oreilles.
Suite demain.
(Léon Daudet, Action française, 20 décembre 1938.)
mercredi 14 novembre 2012
Journal du 14 novembre 1894
Il eut la hardiesse de substituer à la formule "par ce courrier", celle-ci : " par ce facteur".
La pluie
Par
les deux fenêtres qui sont en face de moi, les deux fenêtres qui sont à ma
gauche et les deux fenêtres qui sont à ma droite, je vois, j’entends d’une
oreille et de l’autre tomber immensément la pluie. Je pense qu’il est un quart
d’heure après midi : autour de moi, tout est lumière et eau. Je porte ma
plume à l’encrier, et, jouissant de la sécurité de mon emprisonnement,
intérieur, aquatique, tel qu’un insecte dans le milieu d’une bulle d’air,
j’écris ce poème.
Ce
n’est point de la bruine qui tombe, ce n’est point une pluie languissante et
douteuse. La nue attrape de près la terre et descend sur elle serré et bourru,
d’une attaque puissante et profonde. Qu’il fait frais, grenouilles, à oublier,
dans l’épaisseur de l’herbe mouillée, la mare ! Il n’est point à craindre
que la pluie cesse ; cela est copieux, cela est satisfaisant. Altéré, mes
frères, à qui cette très merveilleuse rasade ne suffirait pas. La terre a
disparu, la maison baigne, les arbres submergés ruissellent, le fleuve lui-même
qui termine mon horizon comme une mer paraît noyé. Le temps ne me dure pas, et,
tendant l’ouïe, non pas au déclenchement d’aucune heure, je médite le ton
innombrable et neutre du psaume.
Cependant
la pluie vers la fin du jour s’interrompt, et tandis que la nue accumulée
prépare un plus sombre assaut, telle qu’Iris du sommet du ciel fondait tout
droit au cœur des batailles, une noire araignée s’arrête, la tête en bas et
suspendue par le derrière au milieu de la fenêtre que j’ai ouverte sur les
feuillages et le Nord couleur de brou. Il ne fait plus clair, voici qu’il faut
allumer. Je fais aux tempêtes la libation de cette goutte d’encre.
(Paul Claudel, Connaissance de l'est, Larousse, 1920.)
mardi 13 novembre 2012
Journal du 13 novembre 1893
L'écriture de Courteline, de ses manuscrits: il semble écrire avec des pâtes d'Italie.
Jules Renard vu par Ernest La Jeunesse
Un oeil qui bouge à peine, qui ne se précipite pas sur les êtres et les objets, mais qui les attire à lui, lentement, et qui, comme l’œil d'un aveugle d'hier, nie la distance et le relief et fait des choses ce qu'il veut, un oeil glacé, pénible, à peine ouvert et pas assez ouvert: oeil de crapaud, oeil de vautour.
Des oreilles qui se dressent, pointues, et qui s'écartent des oreilles insidieuses, pointilleuses comme une balance de précision, qui ne négligent pas les lapsus et les intentions: oreilles de tyran que Denys oublia dans son mur et que La Fontaine cacha dans les oreilles de lièvre.
Quelque chose de glacé et de morne, une bouche qui abrite ses coins sous des poils qui remuent comme des moustaches de cochon d'Inde ou de sauterelle et, tout à coup, une ombre qui court sur les joues et s'y joue comme du soleil sur une feuille de vigne: c'est de la poésie qui vient; une ligne qui se brise sur le front comme une ligne dans l'eau, c'est une pensée qui marche; un geste, et c'est du style; une paupière qui se ferme, et c'est de la bonté.
(Ernest La Jeunesse, cité par Léon Guichard, Jules Renard, La Bibliothèque idéale, Gallimard, 1961.)
lundi 12 novembre 2012
Journal du 12 novembre 1904
Vexé par l'accueil des Nivernais hier soir, consolé par l'article de la Tribune de ce matin. Je dis à Marinette:
- Je suis vaniteux, hein?
- Non, dit-elle en riant.
- Non, mais j'aime les éloges.
- C'est-à-dire, répond-elle, que, quand ils viennent, ils ne te troublent pas; mais s'ils ne viennent pas, tu...
- Oui, oui.
- Mais ils viennent toujours.
- Et puis, dis-je, je serais peut-être un vaniteux, et je ne serais que cela, si je n'étais poète. Poète, je vois la vanité de la vanité même. Je sais voir la beauté, et il y a tant de choses belles.
dimanche 11 novembre 2012
Une famille d'arbres
C’est après avoir traversé
une plaine brûlée du soleil que je les rencontre. Ils ne demeurent pas au bord de la route à cause du bruit.
Ils habitent les champs
incultes, sur une source connue des oiseaux seuls.
De loin ils semblent
impénétrables.
Dès que j’approche, leurs troncs se desserrent.
Dès que j’approche, leurs troncs se desserrent.
Ils m’accueillent avec
prudence. Je peux me reposer, me rafraîchir, mais je devine qu’ils m’observent
et se défient.
Ils vivent en famille, les
plus âgés au milieu, et les petits, ceux dont les premières feuilles viennent
de naître, un peu partout, sans jamais s’écarter.
Ils mettent longtemps à
mourir, et ils gardent les morts debout jusqu’à la chute en poussière.
Ils se flattent de leurs
longues branches, pour s’assurer qu’ils sont tous là, comme les aveugles.
Ils gesticulent de colère, si le vent s’essouffle à les déraciner. Mais entre eux aucune dispute. Ils ne murmurent que d’accord.
Ils gesticulent de colère, si le vent s’essouffle à les déraciner. Mais entre eux aucune dispute. Ils ne murmurent que d’accord.
Je sens qu’ils doivent être
ma vraie famille. J’oublierai vite l’autre. Ces arbres m’adopteront peu à peu, et pour le mériter, j’apprends ce qu’il faut savoir :
Je sais déjà regarder les
nuages qui passent.
Je sais aussi rester en
place.
Et je sais presque me taire.
(Jules Renard, Histoires naturelles)
samedi 10 novembre 2012
Journal du 10 novembre 1896
Nos ancêtres aimaient la campagne: ils s'y promenaient et ne la regardaient pas.
Jules Renard critique littéraire
La ficelle coupée, l'enveloppe déchirée, soupeser le livre et le flairer avec défiance : qu'est-ce qu'on va me conter encore ? Dans ce livre nouveau, quoi de neuf ? L'auteur s'appelle Léon Daudet. Le prénom diminue-t-il, augmente-t-il le nom ? Le fils a-t-il plus ou moins de talent que le père ? S'il lui ressemble, à quoi bon ? S'il en diffère, quelle audace ! Son nom le porte : son nom l'écrase. Je vous assure que, comme toujours, ça dépend.
L'Astre Noir. Pourquoi noir ? Je n'aime pas cet air de se moquer du monde. Roman. Quel genre de roman : historique, contemporain, rural, militaire ? On le dit. D'ailleurs, que signifie de nos jours le mot roman ? - « Vous êtes un homme, monsieur Goethe. » Déjà je crois comprendre. On va me vanter, selon la mode, l'homme d'action, me le proposer comme modèle et m'indiquer par quel coin il faut prendre le monde quand on veut le bouleverser. Mais je la connais, et je me fiche d'être fort. J'en ai assez, des lutteurs pour la vie, et des octogénaires exsangues qui réclament la Grande Saignée, et des théoriciens de l'énergie, et de ceux qui manient leur canne terriblement, et de ceux qui sondent le cœur humain, et de ceux qui collectionnent dans des dossiers des cartes de visites, et de ceux qui ne voient que les gens utiles. Flûte aux grands hommes. D'un tour de pensée je les fais et les défais. Honneur aux paresseux qui meurt obscur. Je ne suis pas fâché de vous le déclarer une fois pour toute.
Le livre feuilleté, quelle fourmilière de lettres imprimées ! Les pages tiennent toute la page, les lignes toute la ligne ; la phrase menace de sauter par-dessus le bord, les marges manquent à chaque instant comme, sous le pied, les trottoirs des vieilles rues où les maisons s'affaissent.
Léon Daudet ne nous encourage guère. Il dédaigne les blancs trompeurs, clairières où l'on s'arrête pour respirer un peu, et sur le chapitre inextricable il déploie ces titres effrayants : Splendeurs et Zénith, Grondements sourds, Cataclysmes, Déclin, je n'oserai jamais entrer. Au hasard, page 31 : L'astre noir nageait en pleine béatitude. Diable ! Est-ce que l'auteur n’écrit pas, Page 2 : Cette poussière de bruit qui succède aux grandes clameurs. Page 20 : Quelque malice plissa ses lèvres fines, tel un petit Dieu s'assied sur un coquillage rose. Mais l'auteur écrit donc ! Oui, si le style est une tournure d'esprit. Une à une, les hésitations tombent, comme des brindilles cassées. On se décide, on pénètre, et bientôt, il faut s'y résigner, l'Astre Noir passionne. C'est l’œuvre d'un écrivain étonnamment doué qu'annonçaient Hœrès et Germe et Poussière. Mais il est convenu qu'un jeune ne saurait parler d'un jeune avec trop de réserve pudique.
Le mal qui répand chez nous la terreur d’admirer n’est pas une petite peste. Et si pourtant je me laisse aller, si je dis tout haut du livre de M. Léon Daudet : Voilà un beau livre, plein d'idées originales et personnelles qu'on lève à chaque pas, comme des alouettes chantantes, de types achevés (Malauve, Trouquin, les deux Clotilde, Caldius, Etter, etc.) ; de scènes dramatiques (la folie de Lacheminant, le suicide d'Eucrate et de Suzanne, de Pantoscope, etc.) ; d'images bien vertébrées (La joie intense de saisir sa pensée frétillante et brillante par les mailles étroites du langage et de déposer sur la blanche grève des pages toute cette pêche miraculeuse) ; de mots à longue portée (L'homme qui s'écoute entend un glas, - il faudrait... dans la possession... un contact à distance, etc) ; et si je dis que, le livre lu, je m'imagine avoir fait, avec un artiste de premier ordre, un grand voyage circulaire, philosophique et romanesque, émouvant et inoubliable, dois-je m'excuser de le dire et promettre que je ne recommencerai plus.
(Jules Renard, Mercure de France, janvier 1894, à propos de la publication de L'Astre Noir par Léon Daudet.)
vendredi 9 novembre 2012
Journal du 9 novembre 1902
Le jeu de l'amour et du hasard. C'est un chef-d’œuvre de goût. Il ne doit pas rien à la tradition , mais la pièce semble finie à "J'avais grand besoin que ce fut là Dorante".
L'histoire de la jalousie de Mario fait longueur.
Comme, d'un mot, la pièce est posée: "Ni l'un ni l'autre de ces deux hommes n'est à sa place." C'est le sujet type du vaudeville, du quiproquo. Là-dessus, on peut - Mendès ne le pourrait pas -, quand on est Marivaux, broder de la beauté. A peine un ou deux mots qui ne sont pas forts.
Le style de Marivaux, c'est de la soie.
La terre vue de la mer
Arrivant de l’horizon, notre
navire est confronté par le quai du Monde, et la planète émergée déploie devant
nous son immense architecture. Au matin décoré d’une grosse étoile, montant à
la passerelle, à mes yeux l’apparition toute bleue de la Terre. Pour défendre
le Soleil contre la poursuite de l’Océan ébranlé, le Continent établit le
profond ouvrage de ses fortifications ; les brèches s’ouvrent sur
l’heureuse campagne. Et longtemps, dans le plein jour, nous longeons la frontière
de l’autre monde.
Animé par le souffle alizé, notre
navire file et bondit sur l’abîme élastique où il appuie de toute sa lourdeur.
Je suis pris à l’Azur, j’y suis collé comme un tonneau. Captif de l’infini,
pendu à l’intersection du Ciel, je vois au-dessous de moi toute la Terre sombre
se développer comme une carte, le Monde énorme et humble. La séparation est
irrémédiable ; toutes choses me sont lointaines, et seule la vision m’y
rattache. Il ne me sera point accordé de fixer mon pied sur le sol inébranlable,
de construire de mes mains une demeure de pierre et de bois, de manger en paix
les aliments cuits sur le foyer domestique.
Bientôt nous retournerons notre
proue vers cela qu’aucune rive ne barre, et sous le formidable appareil de la
voilure, notre avancement au milieu de l’éternité monstrueuse n’est plus marqué
que par nos feux de position.
(Paul Claudel, Connaissance de l’est, Larousse, 1920.)
jeudi 8 novembre 2012
L'homme ligoté
Suite d'hier.
Pourtant, à la source de cette affreuse image, on devine comme une appréhension immédiate d'une certaine nature. Il y a en effet quelque chose de nauséabond dans l'existence en plein soleil de buissons poussiéreux et tout poisseux de sève.
Ces plantes attiédies sont déjà des tisanes, et pourtant toutes les poussières blanches de l'été coagulent sur elles. C'est ce qu'un Francis Ponge, de nos jours, rendrait admirablement. La tentative de Renard avorte, au contraire, avant même qu'il se soit rendu compte de ce qu'il voulait faire, parce qu'elle est viciée à la base. il eût fallu se perdre, aborder seul l'objet. Mais Renard ne se perd jamais. Voyez-le courir après le ruban rouge, pleurer d'émotion quand enfin on le lui donne: il peut bien s'évader par instants vers l'imaginaire, il faut à cet homme là la protection de la science et de tout l'appareil social.
S'il avait refusé l'évasion, comme Rimbaud, s'il s'en était pris directement à la prétendue "réalité", s'il en avait fait éclater les cadres bourgeois et scientistes, il eût peut-être atteint l'immédiat proustien ou le surréel du Paysan de Paris, il eût peut-être deviné cette "substance" que Rilke ou Hofmannsthal cherchaient derrière les choses. Mais il n'a pas même su ce qu'il cherchait; et s'il est à l'origine de la littérature moderne, c'est pour avoir eu le pressentiment vague d'un domaine qu'il s'est interdit.
A suivre.
(Jean-Paul Sartre, Situations I, Gallimard, 1947.)
S'il avait refusé l'évasion, comme Rimbaud, s'il s'en était pris directement à la prétendue "réalité", s'il en avait fait éclater les cadres bourgeois et scientistes, il eût peut-être atteint l'immédiat proustien ou le surréel du Paysan de Paris, il eût peut-être deviné cette "substance" que Rilke ou Hofmannsthal cherchaient derrière les choses. Mais il n'a pas même su ce qu'il cherchait; et s'il est à l'origine de la littérature moderne, c'est pour avoir eu le pressentiment vague d'un domaine qu'il s'est interdit.
A suivre.
(Jean-Paul Sartre, Situations I, Gallimard, 1947.)
mercredi 7 novembre 2012
L'homme ligoté
Suite du 23 octobre.
Il écrit en 92: "Remplacer les lois existantes par des lois qui n'existeraient pas."
Il écrit en 92: "Remplacer les lois existantes par des lois qui n'existeraient pas."
Et c'est ce qu'il fait dans chacune de ses comparaisons, puisqu'il met d'un côté la loi vraie, l'explication scientifique, et de l'autre, la loi qu'il invente. Il notera que "s'évanouir, c'est se noyer à l'air libre", il en viendra à trouver "délicieux" un mot de Saint-Pol-Roux: "Les arbres échangent des oiseaux comme des paroles"; il finira par écrire: "Les buissons semblaient saouls de soleil, s'agitaient d'un air indisposé et vomissaient de l'aubépine, écume blanche." Ce qui est positivement affreux et ne signifie rien, parce que l'image se développe par son propre poids.
On notera le "semblaient", destiné à rassurer le lecteur et Renard lui-même en les avertissant tout de suite qu'ils demeureront dans le domaine de la pure fantaisie, que les buissons ne vomissent pas. On notera aussi la juxtaposition maladroite du réel et de l'imaginaire: "L'aubépine, écume blanche." Si Renard compare cette mousse fleurie à une écume, ce n'est pas sans l'avoir d'abord nommée, rattachée à une famille, à un genre, à un règne. Et, par là même, il annule son image, il l'irréalise. C'est ce qu'il prenait pour de la poésie: c'en était tout juste le contraire; il n'y a de poésie que lorsqu'on refuse toute valeur privilégiée à l'interprétation scientifique du réel et qu'on pose l'équivalence absolue de tous les systèmes d'interprétation.
Suite demain.
(Jean-Paul Sartre, situations I, Gallimard, 1947.)
mardi 6 novembre 2012
Journal du 6 novembre 1889
Nous voulons fonder une revue. Chacun de nous disait: "Qui fera la chronique? " Personne ne voulait faire la chronique. Quelqu'un proposa: "Nous la ferons (chacun) notre tour."
A la fin, il s'est trouvé que, tous, nous avions une chronique en poche, à livrer, tout de suite, au premier numéro...
Vallette, comme rédacteur-directeur, agrémente sa conversation d'expressions telles: majoration, fonds de caisse, rentrée, compte-rendu.
En somme, notre mépris de l'argent proclamé haut et fort, nous serions grandement enorgueillis si le premier numéro nous rapportait dix sous.
lundi 5 novembre 2012
Journal du 5 novembre 1887
Un air frais, transparent, où la lumière semble mouillée, lavée, trempée dans de l'eau très claire, et suspendue comme de fines gazes pour sécher, après une lessive de l'atmosphère.
Jules Renard vu par...
Maurice Rostand: son dur visage, taillé à coups de serpe, avait quelque chose d'un peu terrifiant.
Lui-même: Je suis carrément laid, parait-il... Il est certain que je marche sûrement vers une irrémédiable laideur.
Régis Gignoux: Le grand front convexe.
Henri Bataille: La tête en forme de haricot, et le double menton des oies vexées.
Léon-Paul Fargue: Son œil de rouge-gorge, son oreille de chasseur, et son nez de poil à gratter.
Marcel Boulenger: Mais son oeil rond et noir vous eût en même temps percé comme une balle de fusil.
Rachilde: Ce grand et robuste garçon, haut en couleur, avait des yeux en trous d'épingle dans un abat-jour; on devinait qu'un lampe brûlait derrière!
Lucien Descaves: ... Froid, boutonné, l’œil aigu, la barbe rissolée.
Edmond de Goncourt: ... Un garçon encore jeune, mais froid, sérieux, flegmatique, n'ayant pas aux bêtises qui se disent le rire de la jeunesse.
Camille Mauclair: Jules Renard... ne parlait guère, mais était toujours aux écoutes, pointilleux, susceptible, attentif et méfiant comme un lapin roux, dont il avait le continuel frémissement de bouche et d'oreille.
(In Léon Guichard, Renard, La Bibliothèque idéale, Gallimard, 1961, P. 9 et 10.)
dimanche 4 novembre 2012
Journal du 4 novembre 1889
Non, décidément, Barrès se retient trop. Il sera malade quelque jour. Sa sincérité contenue fera péter sa peau. Il mourra d'une conviction rentrée, étouffera de civilisation comme d'autres d'un manque d'air. Des sensations courtes rendues par des phrases brèves.
Est-ce neuf, ce qu'il dit? Il dore la tranche des manuels classiques. Quand on a dit: "Il n'y a rien", une fois, une seule, n'est-ce pas suffisant? Restent les apparences, les belles et variées apparences qui composent un Univers bien assez réel pour notre petite vie jusqu'à notre petite et proche mort.
Barrès, mon ami, déboutonnez-vous: vous sentez le concentré. On étouffe chez vous. Aérez!
Est-ce neuf, ce qu'il dit? Il dore la tranche des manuels classiques. Quand on a dit: "Il n'y a rien", une fois, une seule, n'est-ce pas suffisant? Restent les apparences, les belles et variées apparences qui composent un Univers bien assez réel pour notre petite vie jusqu'à notre petite et proche mort.
Barrès, mon ami, déboutonnez-vous: vous sentez le concentré. On étouffe chez vous. Aérez!
Enquête sur le renouvellement du style
Réponse de Proust à une enquête organisée par La Renaissance politique, littéraire, artistique: "Sommes-nous en présence d'un renouvellement du style?" Cette réponse parut, signée "Marcel Proust" dans le numéro de La Renaissance du 22 juillet 1922.
1° La continuité du style est non pas compromise mais assurée par le perpétuel renouvellement du style. Il y a à cela une raison métaphysique dont l'exposé allongerait trop cette réponse.
2° Je ne "donne nullement ma sympathie" (pour reprendre les termes mêmes de votre enquête) à des écrivains qui seraient "préoccupés d'une originalité de forme." On doit être préoccupé uniquement de l'impression ou de l'idée à traduire. Les yeux de l'esprit sont tournés au dedans, il faut s'efforcer de rendre avec la plus grande fidélité possible le modèle intérieur. Un seul trait ajouté (pour briller, ou pour ne pas trop briller, pour obéir à un vain désir d'étonner, ou à l'enfantine volonté de rester "classique") suffit à compromettre le succès de l'expérience et la découverte d'une loi. On n'a pas trop de toutes ses forces de soumission au réel, pour arriver à faire passer l'impression la plus simple en apparence, du monde de l'invisible dans celui si différent du concret où l'ineffable se résout en claires formules.
(Marcel Proust, Essais et articles, Après la guerre, La Pléiade, p. 645.)
(Marcel Proust, Essais et articles, Après la guerre, La Pléiade, p. 645.)
samedi 3 novembre 2012
Journal du 3 novembre 1887
Il y avait en lui des paresses séniles, du sang de vieillard, du sang d'un père qui l'avait eu trop tard.
Jules Renard vu par René Benjamin 10/10
Henry Becque et Jules Renard ou la comédie vingt siècles après J.-C.
Conférence de M. René Benjamin (extrait)
Suite d'hier.
Du moins, puisque ceux que nous étudions aujourd'hui n'ont pas atteint ces sommets perdus dans les nuées divines, disons que, peut-être, c'est qu'ils ne se sont pas réalisés, mais qu'ils possédaient sans doute de grands cœurs, faits pour le génie, le jour où ils auraient su s'épanouir, le jour où leur époque et ses mœurs et ses évènements leur en auraient donné l'occasion. Ils ont été malheureux; ils se sont gargarisés de leur malheur; ils n'ont pas su s'épanouir; sans doute n'en avaient-ils pas la force; mais ils vivaient à une morne date de l'histoire de France où rien ne les y engageait. Aussi puisque nous les avons aujourd'hui devant nous, je crois qu'à défaut d'une admiration très grande, il faut leur donner une tendresse spéciale. Il faut les mettre dans un coin du coeur où il y aura beaucoup d'indulgence, avec l'estime que mérite leur grand talent. [...]
Mon père avait une grand'mère très tendre qui lui disait toujours:
- Sur cette terre, il faut faire tout, tout ce qu'on peut, mais on n'est pas obligé au reste!
Mesdames, messieurs, puisse votre jugement définitif sur Becque, Renard, et sur l’interprète modeste que je suis, se teinter, en partant, du souvenir de cette phrase qui est pleine d'une utile charité.
Fin.
(René Benjamin, Conférencia, n°10, 1er mai 1926.)
Fin.
(René Benjamin, Conférencia, n°10, 1er mai 1926.)
vendredi 2 novembre 2012
Journal du 2 novembre 1891
C'est étonnant comme toutes les célébrités littéraires gagnent à être vues en caricature!
Jules Renard vu par René Benjamin 9/10
Suite d'hier.
Mesdames, messieurs, il y a quelque chose de très simple dans le génie qui ne se trouve pas chez ces grands hommes de lettres. Ce n'est pas seulement la perfection, le génie, ce n'est pas l'art de la suprême habileté, parce que l'art de la suprême habileté...allons, je vais peut-être vous sembler d'un étrange orgueil, mais je me redis toujours en lisant Renard et en lisant Becque: "Mon ami, si toi ou tes contemporains vous aviez, un jour, une heureuse digestion, un esprit particulièrement bien équilibré, si vous atteigniez à une observation suffisamment parfaite et bien tenue, en même temps qu'à une suffisante maîtrise, qui sait si l'un de vous ne réaliserait pas très bien encore une fois des œuvres à peu près comme celles-là?"
Oui, je sors d'une représentation des Corbeaux, ou de la Parisienne, ou du Pain de ménage, presque avec de la vanité pour tel ou tel de mes amis, car je pense que c'est parfaitement renouvelable. Tandis que, lorsque je suis devant le génie, j'ai non seulement de l'admiration mais de la stupeur: Je vois une chose qui, d'abord, est unique et qui, ensuite, n'est pas explicable, Becque et Renard, je sais très bien comment c'est fait, je les démonte, tandis que Molière, le Molière du Misanthrope - et encore plus du Bourgeois Gentilhomme: étonnante réussite heureuse et spontanée - je ne comprends plus. Je vois un homme qui s'abandonne avec générosité à sa merveilleuse nature, mais je ne m'explique rien. De même, quand je suis devant l'étourdissant Mariage de Figaro, où il y a d'avance le souffle révolutionnaire.
Je me résumerai en un mot qui fera bien comprendre ma pensée, du moins, je l'espère. Quand on sort d’œuvres comme celles de Becque ou de Renard, on a un contentement d'hommes; on se dit, ma foi, que l'esprit a goûté des plénitudes de compréhension; et on croit au talent prodigieux des humains. Mais quand on sort d'une belle représentation de Molière, l'esprit satisfait et le coeur ému, quand on a vu le mystère qu'est le génie, messieurs, on croit en Dieu!
Suite demain.
(René Benjamin, Conférencia, n°10, 1er mai 1926.)
Je me résumerai en un mot qui fera bien comprendre ma pensée, du moins, je l'espère. Quand on sort d’œuvres comme celles de Becque ou de Renard, on a un contentement d'hommes; on se dit, ma foi, que l'esprit a goûté des plénitudes de compréhension; et on croit au talent prodigieux des humains. Mais quand on sort d'une belle représentation de Molière, l'esprit satisfait et le coeur ému, quand on a vu le mystère qu'est le génie, messieurs, on croit en Dieu!
Suite demain.
(René Benjamin, Conférencia, n°10, 1er mai 1926.)
jeudi 1 novembre 2012
Journal du 1er novembre 1895
Léon Blum, un jeune homme imberbe qui, d'une voix de fillette, peut réciter, durant deux heures d'horloges, du Pascal, du La Bruyère, du Saint-Evremond, etc.
Jules Renard vu par René Benjamin 8/10
Suite d'hier.
Ah! Le cas de Renard et de Becque est un cas douloureux. Quand nous résumons les œuvres de ces deux hommes, nous y voyons cependant, pour ne pas être injustes, qu'elles sont pleines d'une certaine perfection, que tout y est voulu, prévu, et admirablement bien fait, constamment bien fait. nous disons: Quel art! Tout est combiné comme par un horloger qui fabrique de jolies montres.Lorsque Mme vigneron, dans Becque, pleure et geint, c'est que Becque a bien l'intention de la faire pleurer et geindre, et il se sert du grand comique qui se dégage des répétitions en la faisant geindre et pleurer trois fois de suite. Tout est si bien combiné pour les filles que nous savons que Becque a pensé d'abord à en mettre deux, puis il s'est dit:
- On m'objectera la brune et la blonde. C'est trop facile. il faut en mettre trois, au nom de l'art.
Et il en a mis trois.
Je vous dis que tout est parfait quand on y regarde de près, tout est délicieusement voulu par un artiste. Si donc on croit à l'art d'abord, avant d'aimer la vie, il faut saluer Becque et Renard et les bien relier et les mettre à la place d'honneur, dans la bibliothèque. Mais si on s'aperçoit, au contact des très grands, des génies, de ce qu'il y a de supérieur et d’enivrant en eux, alors on est dérouté quand on revient à ceux-là.
Suite demain.
(René Benjamin, Conférencia, n°10, 1er mai 1926.)
Ah! Le cas de Renard et de Becque est un cas douloureux. Quand nous résumons les œuvres de ces deux hommes, nous y voyons cependant, pour ne pas être injustes, qu'elles sont pleines d'une certaine perfection, que tout y est voulu, prévu, et admirablement bien fait, constamment bien fait. nous disons: Quel art! Tout est combiné comme par un horloger qui fabrique de jolies montres.Lorsque Mme vigneron, dans Becque, pleure et geint, c'est que Becque a bien l'intention de la faire pleurer et geindre, et il se sert du grand comique qui se dégage des répétitions en la faisant geindre et pleurer trois fois de suite. Tout est si bien combiné pour les filles que nous savons que Becque a pensé d'abord à en mettre deux, puis il s'est dit:
- On m'objectera la brune et la blonde. C'est trop facile. il faut en mettre trois, au nom de l'art.
Et il en a mis trois.
Je vous dis que tout est parfait quand on y regarde de près, tout est délicieusement voulu par un artiste. Si donc on croit à l'art d'abord, avant d'aimer la vie, il faut saluer Becque et Renard et les bien relier et les mettre à la place d'honneur, dans la bibliothèque. Mais si on s'aperçoit, au contact des très grands, des génies, de ce qu'il y a de supérieur et d’enivrant en eux, alors on est dérouté quand on revient à ceux-là.
Suite demain.
(René Benjamin, Conférencia, n°10, 1er mai 1926.)