Suite d'hier.
Ce qu'il faut ajouter et vous représenter, c'est l'accent de cette dernière phrase, la profondeur, la gravité de la note dont il accompagnait son conseil, pour moi inoubliable. Aussi je me rappelle non seulement combien je l'ai aimé, mais je me souviens de la douleur profonde que j'ai éprouvée, un soir, en apprenant que Jules Renard était mort, et jeune, à quarante-cinq ans. J'étais, à ce moment là, rédacteur au Gil-Blas. Il était six heures du soir. Je me souviens très bien de la pâleur que j'ai eue, mon sang se réfugiant dans mon coeur. Le chef des informations me dit alors:
- Benjamin, vous êtes seul à le connaître, ici; si Nozière n'arrive pas avant sept heures, c'est vous qui aller faire l'article.
Eh bien! vraiment! j'avais la main qui tremblait comme le coeur, et j'aurai désiré par-dessus tout, le lendemain matin, dire comme je l'aimais. Mais naturellement Nozière est arrivé à sept heures moins le quart! Et...et il l'a fait dans la perfection, car il l'adorait, lui aussi.
C'est pour vous donner une idée de ce qu'a été notre jeunesse que je vous raconte cet incident particulier. Nous étions quelques uns fervents de Jules Renard. Il nous semblait qu'il nous avait appris à mieux écrire, et, surtout, à mieux sentir en nous méfiant de faire du sentiment. Il faut bien dire qu'en étant homme de lettres, il a été un grand honnête homme. Mais après lui, j'ai eu d'autres maîtres, suivant le mouvement de ma génération. Après lui, j'ai été l'ami d'un homme comme Elémir Bourges, qui m'a dit tout le contraire.
-Prenez garde, surtout, de bien conserver toute votre chaleur. Ne vous méfiez pas de vous-même. Ne devenez pas froid comme une corde de puits; n'écoutez pas les hommes de lettres qui, tous, essaierons de vous rafraîchir.
Suite demain.
(René Benjamin, Conférencia, n°10, 1er mai 1926.)
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