Cette formule peut sembler offrir comme un avant-goût des pages fameuses où Gide réclame des monographies; mais je crois qu'il faut plutôt y voir un aveu d'impuissance. Gide est attiré par ce qu'il voit de positif dans l'étude de l'individu; mais pour Renard et ses contemporains, l'individu, c'est ce qui leur a été laissé par leurs anciens.
La preuve en est l'incertitude où ils demeurent touchant la nature de ces réalités singulières. Certes, Renard, en 1889, s'agace contre Dubus parce qu'il a des théories sur la femme. "Encore? Ce n'est donc pas fini d'avoir des théories sur la femme?" Mais cela ne l'empêche pas, en 1894, de conseiller à son fils: "Fantec, auteur, n'étudie qu'une femme, mais fouille-là bien et tu connaîtras la femme."
Ainsi, le vieux rêve d'atteindre au typique n'a pas disparu. Simplement on y parviendra par un détour: l'individuel, bien gratté, s’effrite, s’éclipse et, sous ce vernis qui s'écaille, l'universel apparaît.
A d'autres moments, au contraire, il semble que Renard désespère de pouvoir jamais généraliser ses observations. Mais c'est qu'il subit, presque à son insu, l'influence d'une conception pluraliste, antifinaliste et pessimiste de la vérité, qui naissait, vers la même époque, de la désagrégation du positivisme et des difficultés que les sciences, après un départ triomphal, commençaient à rencontrer dans certains domaines. Il écrit, par exemple: "Nos anciens voyaient le caractère, le type continu... Nous voyons le type discontinu, avec ses accalmies et ses crises, ses instants de bonté et ses instants de méchanceté."
A suivre.
(Jean-Paul Sartre, l'homme ligoté, Situation I, Gallimard, 1947)
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