(Depuis le 4 mai 2012, je publie en plusieurs étapes l'homme ligoté. Ce texte de Jean-Paul Sartre étant très long, je l'étale sur plusieurs posts. Le dixième aujourd'hui. On peut accéder aux dix pages déjà publiées, en cliquant sur l'onglet l'homme ligoté dans la rubrique libellés, à droite de cette page.)
Suite du 29 juillet.
Cet entretien dut être d'un comique assez gras. Mais enfin prenons-le pour ce qu'il est. Il nous prouve qu'en 1870 déjà, un jeune écrivain se croyait obligé de devenir grossiste, parce qu'il y avait trop de concurrence dans le commerce de détail. Fort bien. Mais après? Après les épopées en dix volumes? Que restait-il à faire?
Or c'est à ce moment que Renard apparaît. Il figure à l'arrière-queue de ce grand mouvement littéraire qui va de Flaubert à Maupassant, en passant par les Goncourt et Zola. Toutes les issues sont bouchées, toutes les voies barrées. Il entre dans la carrière avec le sentiment désespéré que tout est dit et qu'il vient trop tard. Il est hanté par le désir d'être original et par la crainte de n'y point parvenir.
Faute d'avoir choisi une nouvelle manière de voir, il cherche partout et en vain des spectacles neufs. Pour nous, qui trouvons aujourd'hui toutes les voies libres, qui pensons que tout est encore à dire et sommes pris de vertige, parfois, devant ces espaces vides qui s'étendent devant nous, rien n'est plus étranger que ces hommes ligotés, confinés sur un sol trop travaillé, cent fois labourés, et qui cherchent anxieusement un lopin de terre vierge. Tel est le cas de Jules Renard:
A suivre.
(Jean-Paul Sartre, l'homme ligoté, Situations I, Gallimard, 1947)
(Jean-Paul Sartre, l'homme ligoté, Situations I, Gallimard, 1947)
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