mercredi 5 septembre 2012

Jules Renard vu par Victor Méric 1/6

Je l'avoue à ma honte. J'ai mis quelques temps à goûter Jules Renard. Je crois que c'est un auteur qui demande à être longuement pratiqué. Sa sécheresse tout d'abord, ses réticences, sa trop parfaite simplicité me déroutaient. Je l'accusais de manquer d'émotion, de ne mettre aucune passion dans ses écrits, de se déboutonner hermétiquement, de demeurer constamment imperméable et insaisissable. Je ne le sentais pas vibrer.
Je comparais son Poil de Carotte à l'Enfant de Jules Vallès. Alors que le jeune Jacques Vingtras savait éveiller la colère, la haine, la pitié, vous tirait des larmes ou vous secouait d'une gaieté toujours mélangée d'amertume, d'une gaieté maladive et malfaisante, née des boutades et des sarcasmes, l'autre, au contraire, déjà froidement raisonneur, point espiègle mais subtil, point malicieux, mais roué, sournois, calculateur, ma laissait insensible. Je m'imaginais difficilement une enfance semblable. Puis l'auteur avait une façon déconcertante de présenter les choses en raccourci. Sa vision me semblait étroite, son observation limitée; ses images, d'une justesse quelquefois discutable, laissaient toujours paraître la recherche et une certaine préciosité.
Pour prendre un exemple, quand Jules Renard me présentait le serpent avec ce simple commentaire: "Trop long", ou quand il le définissait:" La dix-millionième partie du quart du méridien terrestre", ou encore quand il disait du poisson:" Il ne sait peut-être pas que c'est aujourd'hui l'ouverture de la pêche", je ne pouvais me défendre de découvrir dans de telles images une certaine puérilité.
Suite demain.
(Flax, alias Victor Méric, Les Hommes du jour, n° 63, 3 avril 1909)

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