L'idée chez Renard, c'est une formule affirmative condensant une certaine somme d'expériences, de même que la phrase - qui, chez tant d'autres écrivains, est jointure, passage, glissement, torsion, plaque tournante, pont ou rempart dans ce microcosme, le paragraphe, - n'est pour lui que la condensation de certaines sommes d'idées. Idée ou phrase, corps et âme se présentent à lui sous la forme de la maxime ou du paradoxe; par exemple: "Cela me ferait tant de plaisir d'être bon." C'est qu'il n'a pas d'idées. Son silence voulu, étudié, artiste, masque un silence naturel et désarmé: il n'a rien à dire. Il pense pour mieux se taire, cela signifie qu'il "parle pour ne rien dire."
Car, finalement, ce goût du mutisme le ramène au bavardage. On peut bavarder en cinq mots comme en cent lignes. Il suffit de préférer la phrase aux idées. Car alors le lecteur rencontre la phrase et l'idée se dérobe. Le Journal de Renard est un bavardage laconique, son œuvre tout entière un pointillisme - et il y a une rhétorique de ce pointillisme, tout autant que de la grande phrase concertée de Louis Guez de Balzac.
À suivre.
(Jean-Paul Sartre, l'homme ligoté, Situations I, Gallimard, 1947)
(Jean-Paul Sartre, l'homme ligoté, Situations I, Gallimard, 1947)
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