Donc, il reste encore à faire un livre avec ce livre. Et je suis convaincu que l'on pourrait, en une prochaine édition, établir certaines différences typographiques entre les réflexions personnelles de Renard et celles qu'il notait pour les avoir imaginées ou entendues.
Il se crée, dans l'esprit du lecteur non averti, de perpétuelles confusions qui sont détestables. Il attribue à Renard des observations dont celui-ci n'avait pris note que parce qu'il les trouvait risibles. Certains éclaircissements sont nécessaires, et ce que Renard n'eût point manqué de faire s'il avait publié lui-même son Journal, un ami très intime à lui - je ne vois que Tristan Bernard - pourrait en être chargé. Mais, tel quel, nous nous trouvons en présence d'un livre exceptionnel.
À ma connaissance, il n'en existe pas qui lui soit comparable - ni les Confessions de Jean-Jacques, ni les Cahiers intimes de Balzac, ni les Choses vues de Victor Hugo, ni les Aveux de Baudelaire, ni les Mémoires de celui-ci, ni les Souvenirs de celui-là. C'est autre chose que tout cela. Ça ne remplace rien, ça ne prend la place de personne - mais ça remet bien des personnes, bien des choses à leur place et ça trouve sa place inoccupée encore, et parmi les plus grands. On pouvait s'en passer, puisqu'on s'en passait bien - on ne pourra plus s'en passer maintenant.
(Sacha Guitry, Les Nouvelles littéraires, 26 octobre 1935)
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