Ce matin, reçu une lettre de ma mère, qui me dit que mon père a été pris d'un étouffement, qu'il a demandé lui-même le médecin, et que c'est une congestion pulmonaire, grave.
Ah! J'ai trente-trois ans passés, et c'est la première fois qu'il me faut regarder fixement la mort d'un être cher. D'abord, ça n'entre pas. J'essaie de sourire. Ce n'est rien, une congestion pulmonaire.
Je ne songe pas à mon père. Je songe aux petits détails de la mort, et, comme je prévois que je serai stupide, je dis à Gloriette:
- Surtout, toi, ne perds pas la tête!
Je me donne le droit de la perdre.
Elle me dit qu'il me faudra gants et boutons noirs, et crêpe à mon chapeau. Je me défends mal contre ces nécessités du deuil que je trouvais ridicules tant qu'il ne s'agissait que des autres. Un père qu'on voit rarement, auquel on pense rarement, c'est encore quelque chose au-dessus de soi; et c'est doux de sentir quelqu'un qui est plus haut, qui peut être un protecteur s'il le faut, qui nous est supérieur par l'âge, la raison, la responsabilité.
Lui mort, il me semble que je serai comme un chef désigné: je pourrai faire ce que je voudrai. Plus personne n'aura le droit de me juger sévèrement. Un tout petit enfant serait triste s'il savait que personne ne le grondera jamais.
Je commençais seulement à l'aimer. J'en parlais l'autre matin à Jules Lemaître avec une légèreté littéraire coupable. Comme je rêverai à lui!
Petites et fréquentes envies de pleurer. On pleure ainsi parce qu'on a dans la mémoire les larmes universelles que la mort a fait répandre.
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