Dans une lettre adressée à Lucien Guitry en date du 12 novembre 1902 Jules Renard écrit : « Savez-vous comment ma mère appelle l’auteur de ces trois petits actes : Poil de Carotte, Plaisir de Rompre, Pain de Ménage ? Le Chieur d’Encre. » Cette expression reprise par l’un ou l’autre des biographes de Jules Renard n’a jamais suscité de commentaires particuliers tant elle semble naturelle dans la bouche d’une mère indifférente à la production littéraire de son fils.
Feuilletant par hasard un livre consacré aux chemins de fer du XIX ͤ siècle, il m’est apparu que Madame Renard mère, qui n’était pas une intellectuelle, n’avait peut-être pas inventé spontanément cette trouvaille littéraire sortie d’un cœur réputé durci. Dans le chapitre sur le vocabulaire employé par les cheminots, l’auteur écrit :
« Les ̋ chieurs d’encre ̏
Le terme est choquant. C’est pourtant celui par lequel les cheminots, au langage assez rude, ont, jusqu’en 1900, désigné les bureaucrates, les ̋ gratte-papier ̏.
Ils voulaient par là, marquer leur dédain sans doute, et leur animosité, car c’était dans les bureaux qu’on élaborait les innombrables circulaires, instructions et autres tracasseries administratives. C’est des bureaux aussi que venaient les punitions, pain quotidiens de la piétaille. Et puis les bureaucrates n’étaient-ils pas de pâles cloportes, maladifs, vétilleux, timorés, hypocrites ? Pouvaient-ils comprendre les gens du grand air ?
̋ Chieurs d’encre ̏, oui c’étaient le nom qu’ils méritaient. C’est tout ce que l’on peut dire. »
(Henri Vincenot, La vie quotidienne dans les chemins de fer du XIX ͤ siècle, Hachette, 1975.)
Si l’on se souvient que le père de Jules Renard, entrepreneur de travaux publics, construisait des voies ferrées, on devine que le ménage côtoyait quotidiennement les cheminots. Il n’est pas étonnant que l’épouse ait gardé de cette fréquentation, même trente ans plus tard, un peu de leur vocabulaire.
Voilà en tout cas une explication plausible sur l’usage de ce terme dans le cas qui nous intéresse. Il y en a peut-être d’autres. T.J.
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