On croyait Jules Renard bien portant, et il était très malade ; on le croyait riche, et il était pauvre ; on le croyait heureux, et il avait déjà voulu se suicider ; on le croyait philosophe, et il ne supportait pas l'apparence d'une critique ; on le croyait détaché des vanités politiques, et il soutenait âprement des guerres de clocher ; on le croyait parisien, et il était resté profondément paysan ; on le croyait naturaliste, et il aimait surtout Victor Hugo ; on le croyait sceptique, et il lisait Pascal ; on le croyait gai, enfin, et il était triste. Nous connaissons nos contemporains à peu près comme cela, ce qui ne nous empêche pas de les juger, de leur attribuer des intentions, de mesurer leur esprit, de pénétrer dans leur pensée, de qualifier leur âme.
Rémy de Gourmont Épilogues .Volume complémentaire, Mercure de France, 1913.
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