Un homme se lève de bon matin et s'en va par les chemins creux et par les sentiers ; il n'a peur ni de la rosée, ni des ronces, ni de la colère des branches qui font la haie. Il regarde, il écoute, il flaire, il chasse l'oiseau, le vent, la fleur, l'image. Sans hâte, mais anxieux pourtant, car elle a l'oreille fine, il cherche la nature qu'il veut surprendre au gîte ; il la trouve, elle est là : alors, les ramilles écartées doucement, il la contemple dans l'ombre bleue de sa retraite et, sans l'avoir réveillée, refermant les rideaux, il rentre chez lui. Avant de s'endormir, il compte ses images : « Dociles elles renaissent au gré du souvenir. »
M. Jules Renard s'est donné lui-même ce nom : le chasseur d'images. C'est un chasseur singulièrement heureux et privilégié, car, seul, entre tous ses confrères, il ne rapporte, bêtes et bestioles, que d'inédites proies. Il dédaigne tout le connu, ou l'ignore ; sa collection n'est que de pièces rares et même uniques, mais qu'il n'a pas le souci de mettre sous clef, car elles lui appartiennent tellement qu'un larron les déroberait vainement. Une personnalité aussi aiguë, aussi accusée, a quelque chose de déconcertant, d'irritant et, selon quelques jaloux, d'excessif. « Faites donc comme nous, puisez dans le trésor commun des vieilles métaphores accumulées; on va vite, c'est très commode. » Mais M. Jules Renard ne tient pas à aller vite. Quoique fort laborieux, il produit peu, et surtout peu à la fois, semblable à ces patients burineurs qui taillent l'acier avec une lenteur géologique.
Étudiant un écrivain, on aime (c'est une manie que Sainte-Beuve nous légua) à connaître sa famille spirituelle, à dénombrer ses ancêtres, à établir de savantes filiations, à noter, tout au moins, des souvenirs de longues lectures, des traces d'influence et le signe de la main mise un instant sur l'épaule. Pour qui a beaucoup voyagé parmi les livres et les idées, ce travail est assez simple et souvent facile au point qu'il vaut mieux s'en abstenir, ne pas contrister l'adroite ordonnance des originalités acquises. Avec M. Renard, je n'ai pas eu ce scrupule, j'ai voulu lui dessiner un beau feuillet de studbook, mais le singulier animal s'est présenté seul et les feuillages n'accrochent, parmi les arabesques, que des médaillons vides.
S'être engendré tout seul, ne devoir son esprit qu'à soi-même, écrire (puisqu'il s'agit d'écritures) avec la certitude de réaliser du vrai vin nouveau, de saveur inattendue, originale et inimitable, voilà qui doit être, pour l'auteur de l'Écornifleur, un juste motif de joie et une raison très forte d'être, moins que tout autre, inquiet de sa réputation posthume. Déjà, son Poil-de-Carotte, ce type si curieux de l'enfant intelligent, sournois et fataliste, est entré dans les mémoires et jusque dans les locations. Le « Poil-de-Carotte, tu fermeras les poules tous les soirs » est égal en vérité burlesque aux mots les plus fameux des comédies célèbres, et il en est à la fois le Cyrano et le Molière, et cette galère ne lui sera pas volée.
L'originalité bien constatée, les autres mérites de M. Jules Renard sont la netteté, la précision, la verdeur ; ses tableaux de vie, parisienne ou champêtre, ont l'aspect de pointes sèches, parfois un peu décharnées, mais bien circonscrites, bien claires et vives. Certains morceaux, plus estompés et plus amples, sont des merveilles d'art ; ainsi Une Famille d'Arbres.
« C'est après avoir traversé une plaine brûlée du soleil que je les rencontre.
Ils ne demeurent pas au bord de la route, à cause du bruit. Ils habitent les champs incultes, sur une source comme des oiseaux seuls.
De loin ils semblent impénétrables. Dès que j'approche, leurs troncs se desserrent. Ils m'accueillent avec prudence. Je peux me reposer, me rafraîchir, mais je devine qu'ils m'observent et se défient.
Ils vivent en famille, les plus âgés au milieu, et les petits, ceux dont les premières feuilles viennent de naître, un peu partout, sans jamais s'écarter.
Ils mettent longtemps à mourir, et ils gardent les morts debout jusqu'à la chute en poussière.
Ils se flattent de leurs longues branches pour s'assurer qu'ils sont tous là, comme les aveugles. Ils gesticulent de colère, si le vent s'essouffle à les déraciner. Mais entre eux aucune dispute. Ils ne murmurent que d'accord.
Je sens qu'ils doivent être ma vraie famille. J'oublierai vite l'autre. Ces arbres m'adopteront peu à peu, et pour le mériter, j'apprends ce qu'il faut savoir :
Je sais déjà regarder les nuages qui passent.
Je sais aussi rester en place
Et je sais presque me taire. »
Quand les anthologies accueilleront cette page, elles n'en auront guère d'une ironie aussi fine et d'une poésie aussi vraie.
Rémy de Gourmont, Le Livre des Masques, 1896, Mercure de France
samedi 31 décembre 2011
vendredi 30 décembre 2011
Journal du 30 décembre 1899
C'est commode, un enterrement. On peut avoir l'air maussade avec les gens: ils prennent cela pour de la tristesse.
jeudi 29 décembre 2011
Journal du 29 décembre 1903
Maman a fait le voyage avec un soldat qui venait de Nice et qu'elle a présenté à Marinette, à la gare. J'avais préparé: "Bonjour, maman, ça va bien? Bon voyage? Installe-toi." Je n'ai pu lui dire que bonjour et lui donner deux baisers avec des lèvres jointes, desséchées.
Dans son "Oh! Paris!" il y a quelque chose de familier et d'attendri que Poil de Carotte n'a jamais eu.
Dans son "Oh! Paris!" il y a quelque chose de familier et d'attendri que Poil de Carotte n'a jamais eu.
mercredi 28 décembre 2011
Journal du 28 décembre 1889
Écrire un dialogue entre un monsieur qui est en villégiature et connaît la campagne d'après Georges Sand, et un vieux paysan très simple et point chimérique. Le monsieur questionne le paysan sur ses "instruments aratoires", sur sa "chaumine". les illusions du monsieur poète tombent une à une, cassées aux réponses sèches du bonhomme.
mardi 27 décembre 2011
Journal du 27 décembre 1906
J'ai une idée comme je regarde un oiseau: j'ai toujours peur qu'elle ne s'envole, et je n'ose pas y toucher.
lundi 26 décembre 2011
dimanche 25 décembre 2011
samedi 24 décembre 2011
Journal du 24 décembre 1908
Dieu. "Aux petits des oiseaux il donne la pâture", et il les laisse, ensuite, l'hiver, crever de faim.
vendredi 23 décembre 2011
Journal du 23 décembre 1891
Vu, chez Schwob, André Gide, l'auteur des Cahiers d'André Walter. Schwob me présente comme un entêté insupportable.
- Si vous ne l'êtes pas, dit Gide d'une voix grêle, vous en avez l'air.
C'est un imberbe, enrhumé du nez et de la gorge, mâchoires exagérées, yeux entre deux bourrelets. Il est amoureux d'Oscar Wilde, dont je vois la photographie sur la cheminée: un monsieur à la chair grasse, très distingué, imberbe aussi, qu'on a récemment découvert.
jeudi 22 décembre 2011
Journal du jour: 22 décembre 1893
La récompense des grands hommes, c'est que, longtemps après leur mort, on n'est pas bien sûr qu'ils soient morts.
Florilège du jour
Dans un moment de confidences Jules Renard avouait : « Je ne suis fait que pour écouter et regarder vivre la terre. » « Il ne faut pas craindre de laisser notre esprit paître un peu, chaque jour, des herbes narcotiques dans les champs illimités du rêve. »
Que recueille-t-il dans les champs illimités du rêve ?
Que recueille-t-il dans les champs illimités du rêve ?
« Nuages, nuages, où courez-vous ? On est si bien ici !
« La lune, médaille au cou de la nuit.
« Les jardins qui s’éteignent, à l’automne.
« La noix, ces deux oreilles collées l’une contre l’autre.
« L’Arc de Triomphe du paysan, c’est l’arc-en-ciel.
« Les étoiles. Il y a de la lumière chez Dieu.
« La feuille, cette parente pauvre de la fleur.
« La violette, modeste ? Pas tant que ça ! Elle fleurit la première comme si elle craignait la comparaison.
« La châtaigne, ce hérisson des fruits.
« Aubépine. Ce matin, toute la haie se marie.
« La Loire, un grand fleuve de sable quelquefois mouillé.
« Quelques gouttes de rosée sur une toile d’araignée, et voilà une rivière de diamants.
« Un matin si gris que les oiseaux se recouchaient.
« Nuages : les descentes de lit de la lune.
« La marguerite : une bouche ronde qui a des dents de tous côtés.
« La rosée, belle barbe blanche de la terre.
« Les champignons, gros boutons de la prairie.
« Un pré rasé de frais.
mercredi 21 décembre 2011
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